lundi 28 mai 2012

Paraître pour exister


Assis, à la terrasse de ce café, je me sens serein. Je goutte le calme et la tiédeur de cette matinée qui n’a pas encore commencé. J'aime la  Provence. Hier soir, je me suis couché tôt. Je ne fume plus, et j’ai réussi à ne plus boire à l’ivresse, même légère. Au réveil, je me sentais propre au dedans, plein d’une énergie que je ne me souviens pas avoir jamais eu. Aux premières lueurs de l'aube Je suis allé à pieds vers le centre du village. Je me sentais en paix, je n’avais plus peur de vieillir. Je ne pensais plus qu'au présent et aux possibles qui s'ouvraient à moi, comme quand j’étais l’adolescent au cheveux noirs et bouclés, qui posait pour sa première carte d’étudiant, regardant confiant l’avenir au travers de l’objectif, les yeux arrogants et posés comme un air de défi. Ce matin, j’étais ce jeune homme vert, à la peau douce, au visage sans mollesse.

 Le ciel est clair, le vent a chassé les nuages. La journée commence dans la douceur. Je regarde la rue animée par les artisans qui rejoignent leur chantier. Je tourne la cuillère dans ma tasse de café, ne sachant où la poser. Derrière son comptoir, le patron du bistrot, est occupé de mille taches dont j’ignore le sens. Un vieux, au visage chiffonné de trop de nicotine s'absorbe dans  la lecture de la rubrique hippique d’un journal qu’il a sorti de la poche intérieure de sa veste. Le temps passe sans but avec lenteur et je n’ai pas encore porté la tasse à mes lèvres. J’attends, et pourtant je sais que bientôt je me lèverai pour reprendre le chemin de ma location. On se croirait en Afrique, ou quelque part dans le sud de l’Espagne.

C’est à cet instant que je l’ai vue passer devant moi. Habillée court, chaussée de talons hauts, elle m’apparaissait dans la minceur triomphante de celles pour qui leur silhouette est le fruit de l’entreprise d’une vie. Elle marchait en roulant ses fesses, le regard fixé vers la boulangerie. Je me suis immédiatement senti attiré vers elle, ne pouvant détacher mes yeux de ce cul hypnotique. Elle n’était plus là mais j’avais son image encore devant les yeux. Qui donc était cette femme ? Il ne fallait vraiment pas être devin pour sentir dans son sillage la profondeur de ses blessures. J'étais amusé et attendri par cette poupée de cinquante ans, qui pour être certaine d’accrocher le regard des hommes avait du passer plus de deux heures à s’apprêter dans le silence de sa salle de bain afin de se présenter dans les atours les plus caricaturaux de la féminité, simplement pour aller chercher son pain.

Sa volonté de séduire à tous prix, la rendait émouvante. Je l’imaginais fragile et inquiète, passant probablement le plus clair de son temps à scruter les signes de l’âge qu’elle tentait  d’endiguer méthodiquement. Elle avait la chance d’avoir su garder la jeunesse de sa silhouette, conservant un corps fin et musclé qu’elle devait mettre en valeur pour que l’on oublie de regarder son visage qui, malgré sa science du maquillage ne pouvait plus faire impression. Dans l’excès de l’obsession de son apparence, elle en faisait trop. Vêtue comme une chasseuse, elle avançait d’une démarche étudiée, uniquement attentive aux regards qui se posaient sur elle. Je l’ai sentie blessée, comme une femme qui a pris la décision de se donner les moyens de refaire sa vie. Chez elle, la fêlure allait au-delà de la simple campagne de séduction. On sentait que son corps était le terrain d’un champ d’une bataille qui se livrait quotidiennement. Elle refusait, elle niait, elle luttait. Elle savait qu’il ne lui restait que peu de temps avant que les brèches qu’elle scrutait chaque jour ne soient trop visibles, les fuites toujours plus nombreuses. Elle craignait ce jour, refusant d’y penser, mais investissant dans sa lutte chaque instant de sa vie.  Cet instant arriverait toujours trop tôt. Vaincue par le temps, dans sa solitude désœuvrée elle n’aurait plus alors qu’à feuilleter ses souvenirs au hasard des albums de photos, se remémorant le temps où elle faisait encore  se retourner les hommes. Le temps où elle ne serait plus qu’une vieille au statut de beauté déchue durerait trop longtemps et arriverait toujours trop tôt.

Quand elle revint devant nous, arpentant la rue dans l’autre sens, le vieux leva la tête et l’observa sans discrétion, affichant un sourire gourmand. Ce vieux crabe, qui ne devait pas être beaucoup plus vieux que cette guerrière la considérait comme si elle lui devait quelque chose. Elle au moins se battait contre le temps, tandis que lui, avait depuis longtemps abandonné tout espoir de paraitre. Il avait parlé suffisamment fort et elle était assez proche pour avoir entendu sa parole crue. Elle avançait toujours roulant des hanches, et dansant sur ses escarpins, sans tourner la tête, fière d’être là dans la couleur de sa séduction outrageuse. Elle savait qu’au moins un regard ne se détachait pas de ses fesses. Elle se sentait inaccessible, excitée par le fait qu’elle nourrirait les fantasmes de ce vieux bonhomme. Moi, je la suivais des yeux, sous le regard complice de mon voisin. Dans la rue un volet s’ouvrait. Une vieille dame, en peignoir arrosait ses géraniums.

J’aurais voulu la suivre, juste pour savoir et aussi m’imprégner de son hallucinante démarche de danseuse. J’aurais voulu lui parler, tenter d’attirer son attention. Mais je savais bien que ce genre de femme ne se nourrit que de la jeunesse. Je payais mon café, et repartais, sous le soleil déjà haut qui m’écrasait la nuque. Je me sentais vieux. Bien loin du jeune homme aux cheveux bruns et bouclés qu’elle aurait tant désiré à présent, qu’elle n’aurait pas remarqué dans sa jeunesse car bien trop vert pour elle.

jeudi 3 mai 2012

Tu veux jouer ?


Sourcils froncés, les yeux fixés sur la bouteille d’eau pétillante elle m’annonça soudain :

-          Je suis mariée

-          Moi aussi – lui répondis-je en lui tendant mon briquet allumé.

Fouillant son sac à main, elle en sortit une fine cigarette qu’elle porta aussitôt à ses lèvres, se pencha légèrement et posant un instant ses deux mains en coupe autour de la flamme, fit rougir le bout qui d’inerte devint incandescent.

Silencieuse, elle reprit l’observation attentive de la bouteille d’eau tandis que je posais mon briquet sur la table, soigneusement aligné avec le bord.

-          Vous ne fumez pas ?

-          Non, j’ai arrêté.

-          Ça ne vous dérange pas ?

-          Ça a l’air de vous faire du bien.

-          Vous ne fumez pas et vous avez un briquet sur vous ?

-          J’aime bien le geste de donner du feu … aux femmes uniquement. Je vous ai regardé au moment où vous allumiez votre cigarette, si concentrée, plus rien ne semblait compter, jusqu’au moment où est apparue la fumée.

Elle reprit une bouffée qu’elle inhala longuement et rajusta une mèche de cheveux imaginaire, la replaçant derrière son oreille.

-          Je ne sais vraiment pas ce qui m’a pris d’accepter votre invitation… et vous me regardez la, sans presque rien dire… je me sens gênée… je me demande vraiment ce que je fais la ?

-          Je vous ai juste proposé de partager un verre avec moi… mais je ne pensais pas que vous accepteriez… juste je me suis dit, parce que j’aimais votre silhouette que je me sentirais mieux en vous parlant qu’en regrettant de ne pas avoir osé vous aborder, même si vous ne me répondiez pas.

-          Et maintenant ?

-          On boit un verre, vous fumez une cigarette, il fait doux et moi je suis heureux de passer un moment en votre compagnie.

-          Vous ne me connaissez même pas.

-          Je sais que vous êtes mariée.

-          C’est moi qui viens de vous le dire et vous aussi d’ailleurs. Elle le sait votre femme que vous offrez des verres à des inconnues dans le parc du Luxembourg ?

-          Non, mais elle n’est pas là, et ce n’est pas moi qui lui dirait que des inconnues acceptent les verres que je leur offre.

Je m’attendais à une réponse, mais elle se contenta de hocher la tête tout en riant brièvement comme on souffle dans son nez.

Elle avait déjà repris une cigarette, la tenant de deux doigts entre ses lèvres. De nouveau, je lui offrais la flamme de mon briquet. De nouveau, elle faisait une coupe de ses mains, mais sans éviter cette fois, le contact avec mes doigts.

Se reculant de la table, elle se cala au fond de sa chaise et m’observa. Nous ne parlions plus depuis une vingtaine de secondes et sous son regard silencieux qui me détaillait, je me sentais embarrassé.

Tendant la main, elle prit mon briquet et jouant avec, l’examina avec minutie.

-          C’est un bel objet, il est lourd.

-          Je l’ai avec moi depuis toujours, enfin, depuis longtemps.

-          Combien en avez-vous allumé avec ?

-          De quoi ?

-          Depuis que tu as arrêté de fumer.

-          Je ne sais pas, je ne tiens pas ce genre de comptes.

Son regard me souriait, ironique, indépendant de ses lèvres qui continuaient de fumer.

-          Je vais le prendre avec moi. Tu me donnes ton numéro, celui de chez toi, le fixe et ton portable aussi. Je te le rendrai la prochaine fois que nous nous verrons. Mais c’est moi qui rappellerai et sur le numéro que je veux, quand je veux. Alors, tu veux jouer ?

Sortant de son sac un magnifique stylo mont blanc, elle nota mes numéros au dos du ticket que le serveur nous avait apporté dans une soucoupe en plastique vert avec nos consommations.

-          Je ne te laisse pas écrire, je ne voudrais pas que tu prennes un otage.

Apres avoir rangé le bout de papier et le stylo, elle se leva et alluma une autre cigarette avec mon briquet.

-          Bon, bien, à bientôt, peut être… me dit-elle en m’adressant un sourire franc. Puis elle se retourna et s’éloigna.

Je restais assis quelques instants, la regardant partir. Avant qu’elle ne disparaisse, par effet de contre-jour, je vis son corps se découper nettement sous sa longue robe blanche.

Sortant mon paquet de cigarettes, je regardais autour de moi cherchant du feu. Personne ne fumait.


mercredi 2 mai 2012

INSTANTANES

Premiers mots,



Ça, c'est dans le train qui nous conduisait à Marseille. Nous ne nous connaissions pas encore. J’avais remarqué cette fille qui sur le quai m’observait. C'est elle qui m'a adressé la parole en premier. Sa tête me disait bien quelque chose, mais je ne la remettais pas. Je ne me souviens plus des premiers mots que nous avons échangés.   Le train était bondé et nous n'avions pas trouvé de places où nous assoir. Debout sur la plateforme, nous nous sommes racontés ; elle souriait tout le temps, faisant comme si elle me trouvait passionnant ; moi, je faisais la roue....Elle a voulu me montrer , un petit reflex argentique autofocus, que son père lui avait offert pour son anniversaire et dont elle était très fière, en le manipulant elle a photographié la porte des toilettes. Le flash s'est déclenché automatiquement..... L'image est remarquablement nette.

Quand à Vienne, le Wagon a commencé à se vider, nous nous sommes installés, côte à côte....Elle me parlait, de sa vie, de ses parents, de ses études....Nous fréquentions la même école. Elle entamait sa première année, moi ma troisième. Je me souviens juste de ses yeux qui brillaient et des reflets roux qui courraient sur le Rhône ce matin de décembre entre neige et soleil.



* * *

Neige de février



Ça, c'est une drôle de photo toute floue. La neige tombait à gros flocons. C’était la nuit. Nous avions fait l'amour pendant des heures, probablement plusieurs fois de suite.

C'est elle qui m'a réveillé pour que je voie tomber la neige. Je me souviens m'être dit que c'était un peu idiot... La neige à Lyon en février, ça ne me semblait pas un spectacle inhabituel.

Toute nue, elle regardait la neige qui recouvrait le jardin en contrebas en me disant c'est beau non ? Moi j'étais derrière son dos, et je regardais ses petites fesses qui reflétaient la lumière jaune des lampadaires de la rue. J'ai saisi l'appareil posé sur la table du salon. C’est à cet instant qu'elle s'est retournée pour me sourire. Je n'ai pas interrompu mon geste, et j'ai pris la neige à travers la fenêtre. Elle s'est mise à genoux pour me prendre dans sa bouche. Pour elle, c’était une première fois. Elle voulait me faire plaisir,  mais s'y prenait maladroitement. J’étais ému. Nous avons encore une fois fait l'amour....

La photo est ratée et le labo ne nous l'a pas facturée, si l'on regarde attentivement, encore faut-il le savoir, on distingue vaguement le reflet de son dos..

* * *

Premières vacances à Biarritz


Celle-ci c'est mon frère qui l'a prise. On est au début de l'été sur la promenade qui longe la plage de Biarritz. Le ciel est bleu lumineux. Je me souviens de l'odeur des frites et de l'ambre solaire qui évoquait le temps des vacances. Les couleurs de la photo sont chaudes et saturées.
Le vent rabat ses cheveux vers l'avant, couvrant une partie de son visage. Elle ne pose pas et rit de toutes ses dents.
Nous nous étions baignés, l'eau était encore un peu fraiche. Elle porte une jupe rouge légère qui lui arrive un peu au-dessus des genoux. Prétextant que l'eau était très salée et qu'elle avait oublié emporter de quoi se changer, elle était restée nue sous ses vêtements.
Elle est restée toute la journée dans la même tenue.
C’est la semaine ou elle a commencé à se lacher vraiment.

* * *

Le collier de perles


C'est l'hiver, toujours à Biarritz. Le regard buté et la lèvre tremblante, elle ne veut pas me parler.
 Mes parents nous ont invités au restaurant. À la fin du repas, ma mère remarque qu'elle porte le collier en perles que je lui ai offert deux mois plus tôt. C'est à cet instant qu'elle découvre mon mensonge... le premier... en le lui offrant, je lui avais fait croire que je l'avais acheté lors d'une vente aux enchères. Ma mère lui apprend qu'il s'agit du collier de ma grand-mère. Ma mère parle toujours trop. J’aurais voulu qu'elle se taise. J’aurais voulu être ailleurs. Le choc est d'autant plus rude que le cadeau l’avait surprise.
Elle apprendra un an plus tard que ce n’était même pas de vraies perl
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Festival d'Avignon



Photo de groupe, quelques mois plus tard. Un stage de théâtre à Avignon. Nous assistions à une ou deux représentations par jour et avions droit à l'explication de texte détaillée de l'artiste. Nous ne nous connaissions pas auparavant et ne sommes jamais revus depuis. Je ne parviens pas à mettre un nom ou un prénom sur le moindre visage.
Le cliché a été pris à la terrasse d'un café proche du palais des papes. Nous sommes côte à côte, sans tout à fait me tourner le dos, elle ne semble pas me prêter attention. Elle a sympathisé avec un garçon qui ressemble à un moniteur de ski ou de planche à voile. Il est grand, blond, les yeux clairs, l'allure assurée des hommes que les femmes recherchent ; j'ai l'air d'un môme à ses côtés.
Elle lui propose de venir nous voir à Lyon et insiste pour qu'il note le numéro de téléphone. Je sais que si elle le revoit, ce ne sera pas pour parler théâtre... Nous n'avons jamais évoqué cet épisode par la suite. Je ne suis pas certain qu'elle aurait souhaité m'associer à la réalisation de son fantasme.

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Nouvel An dans le Jura



Sur celle-ci, on la voit, en train de danser. Nous sommes dans un gite dans le Jura et fêtons le Nouvel An avec un groupe d'étudiants que nous connaissons depuis quelques semaines seulement et ne reverrons jamais.
La musique est forte... tout le monde a déjà beaucoup bu. La pièce est enfumée, nous ne pouvons pas ouvrir les fenêtres, dehors il fait -20° ou moins encore.
Je la savais opposée à toute consommation de stupéfiant, mais ce soir-là, elle s'est servi une énorme part de space cake et peut être un cachet d'ectazy également.
Elle est devenue très câline, m'a attiré dans un coin un peu à l'écart, m'a pris la main, dégrafant elle-même un bouton de son jean pour dégager sa taille et m'a demandé de la caresser jusqu'à l'orgasme. Elle me regardait droit dans les yeux, tandis que ma main s'activait... je l'ai sentie se détendre comme un ressort cassé. Elle venait de jouir. Après cela, elle est partie danser, puis je l'ai perdue de vue pendant une heure ou deux jusqu'au moment où elle est venue me chercher, pour que je lui fasse l'amour sous la douche. Son sexe était humide au point que je me demande encore si je n'ai pas confondu son excitation intime avec le sperme d'un autre.
Un mois plus tard, nous étions séparés. Il me semble que c'est à cette occasion que nous avons fait l'amour pour la dernière fois.

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Nuit de féria à Nîmes
Là, c'est moi de nuit, le crâne rasé, l'œil sombre, marchant dans les rues de Nîmes en pleine feria. Je suis militaire, à l'époque on disait bidasse.
Nous sommes séparés depuis plusieurs mois. Nous n'avons plus que quelques rares contacts téléphoniques.
Je sais qu'elle vit à présent dans cette ville.
J'ai l'air préoccupé et sérieux..., je me souviens que j'étais en fait à la fois triste que notre histoire soit terminée et inquiet de la rencontrer accompagnée d'un autre, qui serait forcément plus grand et plus beau que moi.
Mon ami, qui m'a invité se moque de moi.... La rue est en fête. Tout le monde rit et danse autour de nous, tandis que nous marchons en parlant du sens de la vie.
* * *

En revenant de Nîmes, un matin.....


Dans cette photo, prise d'un radar routier, à l'entrée de Nîmes, on me voit seul au volant de ma voiture. Je suis pressé d'arriver à destination.

Elle m'avait invité à venir lui rendre visite dans son deux pièces à Nîmes, pour diner.

Je n'étais plus militaire et nous ne nous étions pas revus depuis une année.

Elle m’attendait chez elle. Je suis venu les mains dans les poches, sans une bouteille ni même un bouquet de fleurs. Elle semblait heureuse de me revoir, me gratifiant de son sourire magnifique.

Tous deux assis à même le tapis de son salon, je l'écoutais me parler de son travail, de sa vie, de sa mère. Le téléphone a sonné. Elle a décroché, j'ai compris qu'elle parlait à son nouvel amoureux. Adossée à un mur, ses talons posés à plat, elle lissait sa jupe et la rajustait en me regardant sans cesser de parler. Elle a légèrement entrouvert ses genoux d'un geste faussement involontaire, me dévoilant un court instant une tache blanche entre ses cuisses.

Après qu'elle ait raccroché sur un mot tendre chargé de promesses érotiques, nous avons repris notre discussion. Il faisait chaud ce soir-là, mais la température était supportable. Elle s'est levée d'un geste nerveux, me déclarant que son string la grattait et lui rentrait dans les fesses, l'a retiré rapidement en me tournant le dos. Sagement installée sur son canapé en toile, elle est nue sous sa jupe.  J'aurais dû l'embrasser, me jeter sur elle, la prendre, sans même la déshabiller, ramper sous elle pour la dévorer. Mais ce soir, je suis resté assis sur son tapis carré... j'ai continué à parler et à boire ; à parler encore et à boire aussi.

Nous avons dormi ensemble. Je n'étais de toute façon pas en état de reprendre la route. Allongée, dos contre mon ventre dans son lit, elle était nue. J'étais saoul et m'en voulais de ne pas avoir su réfréner ma pulsion alcoolique. Comprenant qu'il ne pouvait désormais plus y avoir que de la tendresse entre nous, elle s’est saisi de  ma main droite afin de couvrir son sein gauche et s'est rapidement endormie.







* * *



Photo sur le net




Je ne l'ai plus jamais croisée. Récemment, en tapant son nom sur un moteur de recherche, j'ai vu son visage apparaitre sur une photo qui semblait avoir été scannée à partir d'une pièce d'identité.

Près de trente ans plus tard, elle n’a pas changé. Elle est toujours aussi souriante et ne fait pas son âge.

En revoyant cette image, me revenaient en mémoire les deux années que nous avions passées ensemble. Elle était toujours célibataire et vivait encore dans le sud. Je me suis demandé ce qu'il serait passé si je ne lui avais pas menti à propos du collier de perles. Peut-être aurions-nous prolongé notre histoire. Nous aurions certainement eu des enfants et la séparation n'en aurait été que plus douloureuse. Nous n'étions pas destinés à rester ensemble toute notre vie.

J'ai quelques remords, mais aucun regret. Je conserve un souvenir attendri de ma première histoire d’amour.



* * *



Elle n'a pas tout oublié





Ma mère est passée à la maison hier soir. Après quinze ans de célibat, elle a enfin décidé de refaire sa vie dans une autre ville avec son nouveau compagnon. C’est fou ce que l'on peut jeter quand on déménage. Je lui avais dit que je ne voulais pas qu'elle se débarrasse de quoi que ce soit qui m'appartient sans me le dire. Elle a tenu parole et m'a rapporté hier, une malle pleine de vêtements d'enfants et une surprise. La surprise c'est cette boite en carton qui déborde de vieux souvenirs que je suis en train d'effeuiller, seule, sur la table de mon salon.

Au fond de la boite, une enveloppe rose. Dans l'enveloppe, quelques photos de moi, encore adolescente. Mes sœurs et moi fêtant mes dix-huit ans, mon chat, mes premiers et derniers essais de photographie artistique. Puis retournée, parmi d'autres ; je suis sûr qu'elle a ouvert l'enveloppe, un cliché, ou je m’adonne au plaisir naturiste au bord d'une rivière par une claire journée d'été. Je suis debout, bien sûr toute nue, et la photo a été prise de surplomb. Mon corps est un peu déformé par la perspective plongeante. Je suis bronzée des pieds à la tête, sans la moindre marque de maillot de bain. J'avais encore mes petits seins, qui me complexaient tant, que je me suis fait refaire pour mes trente ans.

J'avais oublié l'existence de cette image, mais je me souviens de cette journée. Je ferme les yeux et elle revit en moi.

Nous avions décidé de nous baigner dans le Gardon. Ma sœur avait voulu nous accompagner avec son petit ami iranien. Lui nous conduisait, dans sa 504 décapotable rouge.

Il faisait très chaud, et nous voulions nous baigner. Il ne supportait pas la promiscuité et refusait toutes les plages que nous lui proposions, nous avons roulé, puis marché longtemps pour trouver un endroit qui ne soit pas envahi de familles.

Il était beau ce jour-là, très brun, ses cheveux bouclés flottaient au vent. Ses lunettes de soleil lui donnaient un air absent. J'avais envie de le toucher, de gouter sa peau que je devinais salée. Lui, conduisait, sans dire un mot le regard fixé sur la route.

C'est moi qui après notre baignade ai pris l'initiative de me débarrasser de mon slip de bain, pour bronzer toute nue. Il ne s'est pas fait prier longtemps et s'est lui aussi complètement dévêtu. Ma sœur était dans l'eau en compagnie de son invité. Visiblement gênés, ils n'osaient plus nous rejoindre.

Allongée sur le ventre, je somnolais, goutant l'odeur des pins, la douceur du soleil et le chant des cigales. Je me sentais bien dans mon corps, j'ai senti sa main huilée d'abord se poser sur mon épaule puis investir le reste de mon corps. J'avais envie qu'il continue sa caresse, qu'il l'a précise et de ses doigts me fasse jouir maintenant.

Je me suis levée et d'un geste de la tête l'ai invitée à me suivre. Sous un arbre, je me suis assise face à lui, tournant le dos à la rivière. Écartant légèrement les genoux, je n'ai pas eu besoin de dire pour qu'il comprenne ce que je désirais. Je voulais me sentir fouillée, caressée, excitée... Je n'ai jamais retrouvé un homme qui sache aussi bien me faire jouir de ces doigts. Il m'a caressée, longuement, lentement, avec la précision  et la douceur d'une femme. Je le regardais dans les yeux et sentait son trouble alors que le plaisir rapidement montait de mon ventre d'abord par vagues, puis comme un flot continu. C'est à ce moment que sans cesser sa caresse, il s’est penché vers moi, me soufflant une parole obscène et souriante. J'ai senti mon sexe inondé de plaisir. Un petit cri m’a échappé... Je ne l'ai pas touché. Il n'a pas insisté. Il n'a jamais compris que j'attendais qu'il prenne sans attendre mon autorisation

C'est avec lui que je me suis affranchie du regard de ma mère. Un soir, j'ai eu l'impression que je faisais l'amour avec mon frère. Je n'ai plus supporté de voir son visage face à moi. Je me suis retournée, et m'imaginant avec un autre je me suis faite jouir sans attention pour son plaisir. Je savais que notre histoire était finie.  Je n'avais plus envie de lui. Il me fallait d'autres corps, d'autres odeurs, ressentir les émotions du début.

 Nous nous sommes quittés sans qu'il insiste pour me retenir. Il avait l’air triste des amants révoqués. Je ne l'admirais plus.

Nous nous sommes revus peu après notre séparation. Je voulais qu'il me prenne, qu'il me maltraite et me baise.... mais, il n'a rien compris et a passé toute la soirée à boire et à parler.

Je ne sais plus où il vit. Il a dû vieillir . Peut-être ses cheveux ont-ils blanchi. Peut-être  a-t-il pris du ventre ou perdu l’éclat de son regard. Je voudrais ne jamais le recroiser. Et puis quoi lui dire ?