J’ouvrais cette malle tel un explorateur qui après avoir
tant espéré se trouve sur le point de révéler un secret oublié.
J’étais venu faire l’inventaire des biens de famille. À
présent j’étais l’ultime survivant de ma branche maternelle. Je n'escomptais pas dans ce grenier découvrir un trésor dissimulé qui aurait échappé à l'avidité de mes prédécesseurs. Les membres de ma famille m'étaient inconnus. J’en
savais suffisamment sur leur compte pour ne pas attendre mieux que de la
poussière, une sale odeur de moisi et de pisse de chat.
Je suis l’héritier d’une lignée millénaire de simples
ouvriers, artisans ou tâcherons sans histoire. Presque aucun n’avait appris à lire, écrire ou penser autrement qu’en
fonction de ce qu’enseignaient l’église et la morale dominante. Les cataclysmes
de l’histoire, l’invasion des Anglais ainsi que les grands conflits qui, plus
que partout ailleurs se sont toujours acharnés à martyriser cette terre de Flandre
et du Boulonnais avaient dictées les rares aventures familiales.
La faiblesse des petites gens est parfois tant désespérée qu’elle
ne laisse souvent prise qu’au mépris.
Cet inventaire m’ennuyait. Recenser les biens misérables de
mes ancêtres et aïeux disparus dans le silence de leurs secrets m’était aussi
fastidieux que dérangeant.
La plupart des objets m’étaient familiers bien qu’ayant déserté
les champs accessibles de ma mémoire consciente.
Cette malle était celle de ma mère qui avait conservé sans
esprit de méthode les souvenirs de mon enfance. Je relisais des poèmes tracés à
l’encre verte et resurgissait en moi l’odeur de la colle blanche et des pots
de gouache qui coloriaient nos mains et marquaient de leur parfum les séances d’activité
d’éveil que parcimonieusement nous offrait notre maître d’école. Je me rappelle
de ces après-midi de classe que je dégustais avec gourmandise comme une douceur
sucrée. Je revivais l’émotion du jeune écrivain que j’étais, qui n’envisageait
les mots que par leur sonorité et leurs associations improbables.
Je ne pensais pas que quiconque n’ait jamais posé les yeux
sur ces chants d’enfants, encore moins celle qui si souvent m’admonestait pour
mon manque de rigueur et ma pauvre maîtrise de la grammaire française.
Elle avait tout conservé, sans avoir pu toutefois s’empêcher
de parsemer ces feuilles à grands carreaux de remarques, de corrections et
autres soulignements didactiques.
J’exhumais les lettres d’amour que j’avais écrites dans le
silence de ma chambre d’adolescent, puis de jeune étudiant. Aucune des destinataires
de ces courriers n’a jamais ouvert une enveloppe qui de ma part lui était adressée. J’étais trop timide et peu sûr de
moi pour entreprendre la moindre esquisse d’expression de mon désir envers ces filles aussi inaccessibles à mes yeux que la
résolution des équations différentielles. J’aurais voulu pouvoir encore être autant
inspiré que je l’étais alors pour de nouveau séduire toutes celles qui ont fini
par fuir mon silence.
Je poursuivais l’inventaire des traces de ma jeunesse naïve
et me replongeais dans un univers d’émotions et de sensations que je n'imaginais
pas ressentir avec une telle force après
tant d'années.
J’étais bouleversé de découvrir que ma mère, cette femme au
jugement ferme et définitif s’était attachée à conserver et relire ces pages
que je pensais disparues, mais qui pour elle, étaient le plus précieux des
trésors.
Aujourd’hui, elle aussi est partie, emportant dans son
silence les mots de tendresse et d’encouragement ou tout simplement d’amour qu’elle
n’a jamais su prononcer.
C’est comme ça depuis toujours dans les familles du Nord. On
s’aime sans se le dire et quand on souffre, on se tait d’autant plus.
Découvrir les secrets de famille est parfois merveilleux, souvent douloureux. Il en est de même de nos propres secrets, alors que nous nous pensions que la moindre parcelle de nos souvenirs avaient été brûlées. Notre mère que nous croyons insensible avait en secret accumulé une montagne de souvenirs. Les malles perdues sans les greniers de notre enfance sont pleines de ces secrets....
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