C'était encore l'époque des trains de nuit et des
compartiments fermés à huit places assises. C’était aussi l'époque des
permissions de fin de semaine, des wagons peuplés de militaires bruyants,
bouillonnants de sève, de jeunesse et de rires.
À cette époque j'effectuais mon service militaire quelque
part dans le sud de la France. Le printemps venait tout juste de commencer.
C'est le moment de l'année que je préfère. Le soleil est encore doucement
caressant, et les odeurs de la Provence sont si enivrantes après chaque averse
qu'elles me font l'effet d'une amoureuse inconnue au réveil. C'est le
moment où les femmes redeviennent jolies, où les tissus de leurs jupes se font
plus légers tandis que les talons s'allongent et que les visages se couvrent
d'un hale que je trouve sensuel. J'adore ce moment de l'année, où moi aussi je
me réveille de l'hiver.
Le train roulait depuis près d'une heure en direction de
Marseille, le soleil n'était pas encore très haut.
Seul, dans mon compartiment, plongé dans les réflexions
porno-philosophiques du prince hospodar héréditaire Mony Vibescu,le rejeton caché d'apollinaire,
je goutais le plaisir d'une première cigarette. Le train s'était arrêté pour
une courte pause dans une des innombrables gares qui jalonnent la ligne du bord
de mer. Les voyageurs cherchaient leur place. Discrètement, elle est entrée et
s'est assise face à moi près de la fenêtre.
Le train du prince arrivait tout
juste en gare à Paris. Je posais mon livre, la couverture en évidence et allumais une
seconde cigarette. La jeune femme ne put s'empêcher d'y jeter un rapide coup d'œil puis détournant son regard s'absorba dans la contemplation muette du défilement monotone des champs de
vignes. Elle ne me laissait voir que son profil, et le temps de quelques bouffées de
tabac je l'observais avec une indiscrète arrogance .
Elle paraissait âgée d’une trentaine d'années, presque dix ans
de plus que moi à ce moment. Elle semblait faite d'une quantité de contrastes
qui la rendaient à la fois distante et attirante à mes yeux.
Les traits de son visage osseux avaient la dureté de ceux
d'une de mes anciennes professeur de latin le jour de la rentrée, mais la
douceur de son regard me la rendait si
désirable, alors qu’elle était loin d'être simplement jolie.
Son corps mince était presque maigre. Elle portait une jupe
faite d'un tissu clair et léger qui lui
couvrait sagement la moitié des genoux. Ses jambes fines et nerveuses
s'allongeaient de la cambrure qu'imprimaient une paire d'escarpins rouges
à talons.
Sous son chemisier blanc, lâchement boutonné, je devinais
une poitrine menue, que j’imaginais libre de tout sous vêtement.
Cette femme dégageait à la fois une
expression d'austérité et de sensualité réservée qui, à cet instant, la rendait
très attirante à mes yeux.
Je la détaillais ainsi depuis près d'une minute, sans me
rendre compte de la grossièreté de mon insistance. Elle tourna vers moi son
visage et posant de nouveau son regard vers la couverture de mon livre me
dit :
— Vous vous sentiriez prêt à relever le défi du
prince ?
Je ne m'attendais pas à une
approche aussi directe de sa part.
— Euh... vingt fois de suite ....
Je ne sais pas .....
Elle me fixait avec un joli sourire
ironique.
— Vous savez, si finalement, le
prince meurt de ne pas avoir su tenir sa promesse... c'est avant tout par
idiotie de sa part et non par faiblesse ..... Bien sûr qu'aucun homme ne peut
le faire vingt fois de suite.
Cette femme que je ne connaissais
pas, et qui m'attirait terriblement m'entretenait des performances sexuelles
d'un personnage littéraire. Je me sentais pris à défaut comme un petit garçon
que l'on a surpris au mauvais moment.
— C'est un procédé littéraire.
— Ah bon, et lequel ? Moi, je vous dis qu'il est mort
de ne pas avoir été assez malin... La testostérone ne conforte pas
l’intelligence.
— Je ne vois pas le rapport.
— Vous aussi vous devriez réfléchir un peu.
— Je n'ai encore rien parié.
— Vingt fois de suite, il s'était
engagé à prouver sa passion à la même femme.
En disant cela, elle se tourna à
nouveau vers le paysage.
— Vous allez jusqu'où ?
— Marmande...
— Moi je descends à Agen.
Elle avait posé un de ses pieds sur la corniche de sorte
qu'une jambe se trouvait à présent légèrement surélevée par rapport à l'autre
qui reposait à plat sur la banquette. Cette posture, involontaire en
apparence avait remonté un peu sa jupe,
dévoilant l'intérieur d'une de ses cuisses.
— Il y a tant de manières .... Tant de manières
Répéta-t-elle, sans me regarder ? Elle me tendit la main à ce moment, je
l'attrapais pour tenter un baiser. Mais ce n'était pas cela qu'elle désirait.
Elle saisit mon poignet, m'attirant vers elle pour poser ma main contre sa
cuisse doucement dévoilée.
— Il y a tant de manières
différentes..... Mais si vous ne retirez pas votre main, je considèrerai que
vous aurez accepté le pari du prince. Il ne vous reste que six heures pour
l'accomplir.... au mieux, si nous restons seuls dans ce compartiment.
Elle se leva et tira les rideaux,
nous isolant des regards du couloir.
Trente ans ont passé aujourd'hui. À chaque début de
printemps, je me demande quelle forme prendra pour moi le châtiment des onze
mille verges....
Un texte superbe. Merci.
RépondreSupprimerPopy Canella Un voyage au pays du fantasme entre une femme et un homme dans un jeu érotico-philosophique. Nous nous trouvons captivé par ce "prince" et cette "princesse". Nous nous imaginons bien à leur place. Cette nouvelle est pleine de tendresse et de sensualité ensoleillée. Aucun "prince" ne peut pas réssister au jeu érotique de cette "princesse". Elle se livre à une joute envoûtante et provocante. Notre"prince" goûte à ce plaisir à ne plus se contenir...ou presque.
RépondreSupprimerHeureusement que tu ne connais pas vingt années après le sort du Prince Mony Vibescu. Tu ne souhaiterais pas subir son sort, sa verge mutilée par les 1100 verges. Je ne sais pas si tu en garderais un bon souvenir. Merci Francisco.