Premiers mots,
Ça, c'est dans le train qui nous conduisait à Marseille.
Nous ne nous connaissions pas encore. J’avais remarqué cette fille qui sur le
quai m’observait. C'est elle qui m'a adressé la parole en premier. Sa tête me
disait bien quelque chose, mais je ne la remettais pas. Je ne me souviens plus
des premiers mots que nous avons échangés.
Le train était bondé et nous n'avions pas trouvé de places où nous
assoir. Debout sur la plateforme, nous nous sommes racontés ; elle souriait
tout le temps, faisant comme si elle me trouvait passionnant ; moi, je
faisais la roue....Elle a voulu me montrer , un petit reflex argentique
autofocus, que son père lui avait offert pour son anniversaire et dont elle
était très fière, en le manipulant elle a photographié la porte des toilettes.
Le flash s'est déclenché automatiquement..... L'image est remarquablement
nette.
Quand à Vienne, le Wagon a commencé à se vider, nous nous
sommes installés, côte à côte....Elle me parlait, de sa vie, de ses parents, de
ses études....Nous fréquentions la même école. Elle entamait sa première année,
moi ma troisième. Je me souviens juste de ses yeux qui brillaient et des
reflets roux qui courraient sur le Rhône ce matin de décembre entre neige et
soleil.
* * *
Neige de février
Ça, c'est une drôle de photo toute floue. La neige tombait à
gros flocons. C’était la nuit. Nous avions fait l'amour pendant des heures,
probablement plusieurs fois de suite.
C'est elle qui m'a réveillé pour que je voie tomber la
neige. Je me souviens m'être dit que c'était un peu idiot... La neige à Lyon en
février, ça ne me semblait pas un spectacle inhabituel.
Toute nue, elle regardait la neige qui recouvrait le jardin
en contrebas en me disant c'est beau non ? Moi j'étais derrière son dos, et je
regardais ses petites fesses qui reflétaient la lumière jaune des lampadaires
de la rue. J'ai saisi l'appareil posé sur la table du salon. C’est à cet
instant qu'elle s'est retournée pour me sourire. Je n'ai pas interrompu mon
geste, et j'ai pris la neige à travers la fenêtre. Elle s'est mise à genoux
pour me prendre dans sa bouche. Pour elle, c’était une première fois. Elle
voulait me faire plaisir, mais s'y
prenait maladroitement. J’étais ému. Nous avons encore une fois fait
l'amour....
La photo est ratée et le labo ne nous l'a pas facturée, si l'on
regarde attentivement, encore faut-il le savoir, on distingue vaguement le
reflet de son dos..
* * *
Premières vacances à Biarritz
Celle-ci c'est mon frère qui l'a
prise. On est au début de l'été sur la promenade qui longe la plage de Biarritz.
Le ciel est bleu lumineux. Je me souviens de l'odeur des frites et de l'ambre
solaire qui évoquait le temps des vacances. Les couleurs de la photo sont chaudes
et saturées.
Le vent rabat ses cheveux vers
l'avant, couvrant une partie de son visage. Elle ne pose pas et rit de toutes
ses dents.
Nous nous étions baignés, l'eau
était encore un peu fraiche. Elle porte une jupe rouge légère qui lui arrive un
peu au-dessus des genoux. Prétextant que l'eau était très salée et qu'elle avait
oublié emporter de quoi se changer, elle était restée nue sous ses vêtements.
Elle est restée toute la journée dans la même tenue.
C’est la semaine ou elle a commencé à se lacher vraiment.
* * *
Le collier de perles
C'est l'hiver, toujours à Biarritz. Le regard buté et la
lèvre tremblante, elle ne veut pas me parler.
Mes parents nous ont
invités au restaurant. À la fin du repas, ma mère remarque qu'elle porte le
collier en perles que je lui ai offert deux mois plus tôt. C'est à cet instant
qu'elle découvre mon mensonge... le premier... en le lui offrant, je lui avais
fait croire que je l'avais acheté lors d'une vente aux enchères. Ma mère lui
apprend qu'il s'agit du collier de ma grand-mère. Ma mère parle toujours trop. J’aurais
voulu qu'elle se taise. J’aurais voulu être ailleurs. Le choc est d'autant plus
rude que le cadeau l’avait surprise.
Elle apprendra un an plus tard que ce n’était même pas de
vraies perl
* * *
Festival d'Avignon
Photo de groupe, quelques mois plus tard. Un stage de théâtre
à Avignon. Nous assistions à une ou deux représentations par jour et avions
droit à l'explication de texte détaillée de l'artiste. Nous ne nous
connaissions pas auparavant et ne sommes jamais revus depuis. Je ne parviens
pas à mettre un nom ou un prénom sur le moindre visage.
Le cliché a été pris à la terrasse d'un café proche du
palais des papes. Nous sommes côte à côte, sans tout à fait me tourner le dos,
elle ne semble pas me prêter attention. Elle a sympathisé avec un garçon qui
ressemble à un moniteur de ski ou de planche à voile. Il est grand, blond, les
yeux clairs, l'allure assurée des hommes que les femmes recherchent ; j'ai
l'air d'un môme à ses côtés.
Elle lui propose de venir nous voir à Lyon et insiste pour
qu'il note le numéro de téléphone. Je sais que si elle le revoit, ce ne sera
pas pour parler théâtre... Nous n'avons jamais évoqué cet épisode par la suite.
Je ne suis pas certain qu'elle aurait souhaité m'associer à la réalisation de son
fantasme.
* * *
Nouvel
An dans le Jura
Sur celle-ci, on la voit, en train de danser. Nous sommes
dans un gite dans le Jura et fêtons le Nouvel An avec un groupe d'étudiants que
nous connaissons depuis quelques semaines seulement et ne reverrons jamais.
La musique est forte... tout le monde a déjà beaucoup bu. La
pièce est enfumée, nous ne pouvons pas ouvrir les fenêtres, dehors il fait -20°
ou moins encore.
Je la savais opposée à toute consommation de stupéfiant,
mais ce soir-là, elle s'est servi une énorme part de space cake et peut être un
cachet d'ectazy également.
Elle est devenue très câline, m'a attiré dans un coin un peu
à l'écart, m'a pris la main, dégrafant elle-même un bouton de son jean pour
dégager sa taille et m'a demandé de la caresser jusqu'à l'orgasme. Elle me
regardait droit dans les yeux, tandis que ma main s'activait... je l'ai sentie
se détendre comme un ressort cassé. Elle venait de jouir. Après cela, elle est
partie danser, puis je l'ai perdue de vue pendant une heure ou deux jusqu'au
moment où elle est venue me chercher, pour que je lui fasse l'amour sous la
douche. Son sexe était humide au point que je me demande encore si je n'ai pas
confondu son excitation intime avec le sperme d'un autre.
Un mois plus tard, nous étions séparés. Il me semble que
c'est à cette occasion que nous avons fait l'amour pour la dernière fois.
* * *
Nuit
de féria à Nîmes
Là, c'est moi de nuit, le crâne rasé, l'œil sombre, marchant
dans les rues de Nîmes en pleine feria. Je suis militaire, à l'époque on disait
bidasse.
Nous sommes séparés depuis plusieurs mois. Nous n'avons plus
que quelques rares contacts téléphoniques.
Je sais qu'elle vit à présent dans cette ville.
J'ai l'air préoccupé et sérieux..., je me souviens que
j'étais en fait à la fois triste que notre histoire soit terminée et inquiet de
la rencontrer accompagnée d'un autre, qui serait forcément plus grand et plus
beau que moi.
Mon ami, qui m'a invité se moque de moi.... La rue est en fête.
Tout le monde rit et danse autour de nous, tandis que nous marchons en parlant
du sens de la vie.
* * *
En
revenant de Nîmes, un matin.....
Dans cette photo, prise d'un radar routier, à l'entrée de Nîmes,
on me voit seul au volant de ma voiture. Je suis pressé d'arriver à
destination.
Elle m'avait invité à venir lui rendre visite dans son deux
pièces à Nîmes, pour diner.
Je n'étais plus militaire et nous ne nous étions pas revus
depuis une année.
Elle m’attendait chez elle. Je suis venu les mains dans les
poches, sans une bouteille ni même un bouquet de fleurs. Elle semblait heureuse
de me revoir, me gratifiant de son sourire magnifique.
Tous deux assis à même le tapis de son salon, je l'écoutais me
parler de son travail, de sa vie, de sa mère. Le téléphone a sonné. Elle a
décroché, j'ai compris qu'elle parlait à son nouvel amoureux. Adossée à un mur,
ses talons posés à plat, elle lissait sa jupe et la rajustait en me regardant
sans cesser de parler. Elle a légèrement entrouvert ses genoux d'un geste
faussement involontaire, me dévoilant un court instant une tache blanche entre
ses cuisses.
Après qu'elle ait raccroché sur un mot tendre chargé de
promesses érotiques, nous avons repris notre discussion. Il faisait chaud ce soir-là,
mais la température était supportable. Elle s'est levée d'un geste nerveux, me
déclarant que son string la grattait et lui rentrait dans les fesses, l'a
retiré rapidement en me tournant le dos. Sagement installée sur son canapé en
toile, elle est nue sous sa jupe. J'aurais
dû l'embrasser, me jeter sur elle, la prendre, sans même la déshabiller, ramper
sous elle pour la dévorer. Mais ce soir, je suis resté assis sur son tapis
carré... j'ai continué à parler et à boire ; à parler encore et à boire
aussi.
Nous avons dormi ensemble. Je n'étais de toute façon pas en
état de reprendre la route. Allongée, dos contre mon ventre dans son lit, elle
était nue. J'étais saoul et m'en voulais de ne pas avoir su réfréner ma pulsion
alcoolique. Comprenant qu'il ne pouvait désormais plus y avoir que de la
tendresse entre nous, elle s’est saisi de ma main droite afin de couvrir son sein gauche
et s'est rapidement endormie.
* * *
Photo sur le net
Je ne l'ai plus jamais croisée. Récemment, en tapant son nom
sur un moteur de recherche, j'ai vu son visage apparaitre sur une photo qui
semblait avoir été scannée à partir d'une pièce d'identité.
Près de trente ans plus tard, elle n’a pas changé. Elle est toujours
aussi souriante et ne fait pas son âge.
En revoyant cette image, me revenaient en mémoire les deux
années que nous avions passées ensemble. Elle était toujours célibataire et
vivait encore dans le sud. Je me suis demandé ce qu'il serait passé si je ne
lui avais pas menti à propos du collier de perles. Peut-être aurions-nous
prolongé notre histoire. Nous aurions certainement eu des enfants et la
séparation n'en aurait été que plus douloureuse. Nous n'étions pas destinés à
rester ensemble toute notre vie.
J'ai quelques remords, mais aucun regret. Je conserve un
souvenir attendri de ma première histoire d’amour.
* * *
Elle n'a pas tout oublié
Ma mère est passée à la maison hier soir. Après quinze ans
de célibat, elle a enfin décidé de refaire sa vie dans une autre ville avec son
nouveau compagnon. C’est fou ce que l'on peut jeter quand on déménage. Je lui
avais dit que je ne voulais pas qu'elle se débarrasse de quoi que ce soit qui m'appartient
sans me le dire. Elle a tenu parole et m'a rapporté hier, une malle pleine de vêtements
d'enfants et une surprise. La surprise c'est cette boite en carton qui déborde
de vieux souvenirs que je suis en train d'effeuiller, seule, sur la table de
mon salon.
Au fond de la boite, une enveloppe rose. Dans l'enveloppe,
quelques photos de moi, encore adolescente. Mes sœurs et moi fêtant mes dix-huit
ans, mon chat, mes premiers et derniers essais de photographie artistique. Puis
retournée, parmi d'autres ; je suis sûr qu'elle a ouvert l'enveloppe, un
cliché, ou je m’adonne au plaisir naturiste au bord d'une rivière par une claire
journée d'été. Je suis debout, bien sûr toute nue, et la photo a été prise de
surplomb. Mon corps est un peu déformé par la perspective plongeante. Je suis
bronzée des pieds à la tête, sans la moindre marque de maillot de bain. J'avais
encore mes petits seins, qui me complexaient tant, que je me suis fait refaire
pour mes trente ans.
J'avais oublié l'existence de cette image, mais je me
souviens de cette journée. Je ferme les yeux et elle revit en moi.
Nous avions décidé de nous baigner dans le Gardon. Ma sœur
avait voulu nous accompagner avec son petit ami iranien. Lui nous conduisait,
dans sa 504 décapotable rouge.
Il faisait très chaud, et nous voulions nous baigner. Il ne
supportait pas la promiscuité et refusait toutes les plages que nous lui
proposions, nous avons roulé, puis marché longtemps pour trouver un endroit qui
ne soit pas envahi de familles.
Il était beau ce jour-là, très brun, ses cheveux bouclés
flottaient au vent. Ses lunettes de soleil lui donnaient un air absent. J'avais
envie de le toucher, de gouter sa peau que je devinais salée. Lui, conduisait,
sans dire un mot le regard fixé sur la route.
C'est moi qui après notre baignade ai pris l'initiative de
me débarrasser de mon slip de bain, pour bronzer toute nue. Il ne s'est pas
fait prier longtemps et s'est lui aussi complètement dévêtu. Ma sœur était dans
l'eau en compagnie de son invité. Visiblement gênés, ils n'osaient plus nous
rejoindre.
Allongée sur le ventre, je somnolais, goutant l'odeur des
pins, la douceur du soleil et le chant des cigales. Je me sentais bien dans mon
corps, j'ai senti sa main huilée d'abord se poser sur mon épaule puis investir le
reste de mon corps. J'avais envie qu'il continue sa caresse, qu'il l'a précise
et de ses doigts me fasse jouir maintenant.
Je me suis levée et d'un geste de la tête l'ai invitée à me
suivre. Sous un arbre, je me suis assise face à lui, tournant le dos à la rivière.
Écartant légèrement les genoux, je n'ai pas eu besoin de dire pour qu'il
comprenne ce que je désirais. Je voulais me sentir fouillée, caressée,
excitée... Je n'ai jamais retrouvé un homme qui sache aussi bien me faire jouir
de ces doigts. Il m'a caressée, longuement, lentement, avec la précision et la douceur d'une femme. Je le regardais
dans les yeux et sentait son trouble alors que le plaisir rapidement montait de
mon ventre d'abord par vagues, puis comme un flot continu. C'est à ce moment
que sans cesser sa caresse, il s’est penché vers moi, me soufflant une parole obscène
et souriante. J'ai senti mon sexe inondé de plaisir. Un petit cri m’a échappé...
Je ne l'ai pas touché. Il n'a pas insisté. Il n'a jamais compris que
j'attendais qu'il prenne sans attendre mon autorisation
C'est avec lui que je me suis affranchie du regard de ma mère. Un soir, j'ai eu l'impression que
je faisais l'amour avec mon frère. Je n'ai plus supporté de voir son visage face
à moi. Je me suis retournée, et m'imaginant avec un autre je me suis faite
jouir sans attention pour son plaisir. Je savais que notre histoire était
finie. Je n'avais plus envie de lui. Il
me fallait d'autres corps, d'autres odeurs, ressentir les émotions du début.
Nous nous sommes
quittés sans qu'il insiste pour me retenir. Il avait l’air triste des amants
révoqués. Je ne l'admirais plus.
Nous nous sommes revus peu après notre séparation. Je
voulais qu'il me prenne, qu'il me maltraite et me baise.... mais, il n'a rien
compris et a passé toute la soirée à boire et à parler.
Je ne sais plus où il vit. Il a dû vieillir . Peut-être ses cheveux ont-ils blanchi. Peut-être a-t-il pris du ventre ou perdu l’éclat de son
regard. Je voudrais ne jamais le recroiser. Et puis quoi lui dire ?
J'aime cette nouvelle qui nous fait voyager au travers de chaque saison. Le regard d'un homme et d'une femme qui se rencontrent sur un quai de train. Ils se retrouvent partout en France au gré des aléas de leur relation passionnelle, dévorante et ambiguë. Finiront-ils un pas se retrouver ? La chute est vraiment particulière.....
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