dimanche 16 novembre 2014


Encore un regard avant de partir.

Par Francisco Varga



Églantine, est j'en suis sûr, la plus jolie femme qu'il m'ait été donné de croiser de toute mon existence. C'est une magnifique fée brune aux longs cheveux soyeux qui descendent avec grâce sur ses reins. Ses yeux en amande se plissent de façon mutine quand elle sourit, laissant paraitre deux fines rides d'expression au bord ses paupières, et rendent son regard hypnotique. Les traits de son visage sont si doux que je ne sais me rassasier de la contempler. J'ai besoin d'effleurer ses lèvres, l'arête de son nez, le contour de ses oreilles, l'arrondi de ses pommettes. Je ne m'en lasse pas et j'aime la voir paisiblement s'assoupir puis s'endormir sous la caresse imaginaire du bout de mes doigts. Ses paupières closes, sa respiration ralentit, son expression se détend, je sais qu'à ce moment, elle a cessé de feindre pour entrer en sommeil. Juste éclairée par une petite veilleuse bleue qui, me dit-elle, la rassure, je la contemple en silence. Submergé d'amour, je sens mon cœur battre plus vite et je sais qu'à cet instant peu d'hommes sur terre sont plus heureux que moi. Elle m’a choisi pour partager chacune de ses nuits.
Frileuse, elle dort souvent simplement vêtue d'une de mes vestes de pyjama et de ses chaussettes en laine blanche. Elle aime garder ses jambes libres et nues.
Agitée, elle bouge beaucoup au plus profond de son sommeil. Elle se tourne, se retourne fébrilement, et parfois se recroqueville comme si elle cherchait à retrouver l'antre douillet d'avant sa naissance. Au cœur de la nuit, je l'entends prononcer des mots que je ne comprends pas. Elle rêve et se bat contre des démons qu'elle est la seule à voir derrière ses paupières closes.
Elle sursaute, ses jambes se tendent. Elle est engagée dans une bataille contre les ombres qui l'entourent. Sorti de sa gorge, issu du creux de son ventre, un cri rauque s'achève en gémissement.
Bras en croix, allongée sur le dos, quelques boutons de sa veste se sont détachés, dévoilant un de ses seins, rond comme un petit melon savoureux. Je le devine à peine. À la voir si belle et désirable, je suis ému. J'imagine le trouble d'un Vermeer, qui de l'inlassable caresse de son pinceau laissait frémissante la peau de cette jeune fille inconnue, qu'une simple perle fichée dans le lobe de son oreille à rendue immortelle.
J'aimerais poser mes lèvres sur ses larges et claires aréoles, appétissantes comme une fragile friandise. Je retiens mon geste. Je ne veux pas l'éveiller. Je goute cet instant d'éternité ou enfin immobile, ses cheveux défaits s'écoulent comme un torrent de montagne dans la nuit.
Le temps d’un répit dans son combat nocturne, sa poitrine apaisée se soulève lentement au rythme silencieux de son souffle régulier. La texture de sa peau est délicate au point que je pourrais imaginer distinguer chaque battement de son cœur. Des draps hirsutes qui ne la couvrent presque plus, dépasse une de ses cuisses nues.
Ses jambes, ce soir, me semblent immenses. Sous ses mollets nacrés, se dessine la fine attache de ses chevilles que je devine au travers de la laine de ses chaussettes.
Je me souviens que le jour où je l'ai pour la première fois aperçue dans la rue c'est de l'agile nervosité de sa silhouette de danseuse dont je suis tout d'abord tombé amoureux. Elle était court vêtue ce jour-là. J’ai su plus tard que ce n'était pas son habitude. À la différence des dizaines de femmes que j'avais consommées, je l'ai tout de suite adorée, gravant dans ma mémoire l'image de sa démarche surnaturelle. Je ne savais pas que ce jour-là, nous nous rendions au même endroit, et que ce hasard changerait le cours de ma vie. J'ignorais qu'une femme, si jolie fut elle, pouvait toucher mon âme par le seul équilibre parfait de sa silhouette.
On dit que chaque femme est toujours consciente du regard que pose le désir sur elle. Je crois pour ma part que séduire et attirer l’attention des hommes est une condition de la féminité. Nous avons tous deux parfois évoqué l'instant de notre rencontre. Elle m'a inlassablement assuré ne pas s'être rendu compte de quoi que ce soit. Dois-je la croire ?
Je n'ai jamais été le genre d'homme de celles que j'ai su désirer. Les femmes dont j’aurais pu être amoureux ne m’ont jamais remarqué. J'ai pris l'habitude de n'être qu'un simple numéro de téléphone, un anonyme interchangeable pour les innombrables coups d'un soir qui ont constellé mon existence de chasseur à l'affût.
Ma rencontre avec églantine a été d'une telle banalité qu'elle devait probablement se répéter à l'identique, au même moment, des milliers de fois dans le monde.
Un vernissage ;
Beaucoup d'invités, beaucoup de bruit ;
Bises à l'artiste ;
« comment vas-tu ma chérie ? »
Un buffet impossible à approcher ;
Elle est seule, discrètement posée ;
Je me bats pour saisir deux coupes ;
J'hésite ;
Elle est toujours seule ;
Je me lance ;
  • vous n'y arriverez pas si vous restez aussi sage et polie. Ça vous tente ? J'ai un verre de trop.
  • Merci, c'est très aimable de votre part.
  • Oh, j'ai oublié de me présenter, moi c'est Vincent.
  • Enchantée, Vincent, me répond-elle en souriant de sa bouche perlée, moi c'est Églantine.
  • Vous connaissez l’artiste ?
  • Un peu, pas vraiment, j’ai vu des affiches dans le quartier et je me suis dit que ca devait être amusant. C’est mon premier vernissage. Je viens d’arriver sur paris.
  • D’où venez-vous ?
  • De Grenoble et vous ? vous êtes parisien ou débarqué comme moi de votre province ?
  • Je suis parisien depuis toujours, et encore, j’ai du mal à franchir la seine pour me rendre sur la rive droite.
  • Vous pensez que nous pourrons gouter aux petits fours ? ils m’ont l’air délicieux. Mais il faudrait une arme pour s’approcher du buffet. Vous avez ca sur vous ?
  • Peut-être une baguette magique, mais on pourrait tenter de crier au feu….
Notre échange se poursuivit pendant une heure sur un mode tout aussi ordinaire. Il n’y avait plus rien à boire ni à manger et l’exposition se vidait, tandis que le brouhaha mondain s’atténuait peu à peu.
Deux numéros de téléphone échangés ;
Un coup de fil le lendemain ;
un dîner;
puis un verre;
une nuit;
un réveil à deux un samedi matin;
puis un dimanche et finalement deux amants qui ne parviennent plus à passer du temps l'un sans l'autre.
Entre nous, tout s'est déroulé très rapidement. Notre histoire aurait pu débuter comme n'importe qu'elle coucherie ordinaire. Comme la plupart de mes aventures précédentes, la plupart sans suite et souvent sans plaisir. Mais, je savais que ce serait elle.
La toute première fois que je la pénétrai, je ressentis qu'elle m'accueillait dans son corps, dans sa vie et dans son âme. Églantine était le premier être que je connaissais réellement. Au-delà de ma jouissance, j'expérimentais enfin l'orgasme. Non pas le simple réflexe libérateur de la tension de mon désir, ni l'aboutissement épileptique du frottement régulier de nos muqueuses humides, mais une vague de sensations inédites, qui me submergeaient me laissant pantelant. je recherchais le contact avec la moindre parcelle de sa peau. Mes mains se nourrissaient de la douce chaleur de son épiderme. Je ne me rassasiais pas de l'odeur de sa sueur. Je trempais mes doigts en elle pour me délecter du goût de nos sécrétions mélangées au gout de cannelle poivrée. Son sexe brulant et inondé palpitait en se resserrant et m'aspirant comme la bouche avide d’un nouveau-né. Je ne voulais plus seulement lui faire l'amour, mais l'investir totalement. J'éprouvais un bonheur d'une si profonde plénitude que je sentais monter à mes yeux des larmes impossibles à réfréner. À cet instant je ne ressentais pas la moindre gêne, ni le besoin non plus de devoir me contenir. J'éclatais en sanglots sans comprendre ce qu'il se passait au fond de moi. Ses jambes enserraient mes hanches, avec violence ses mains crochetaient mes flancs, son corps s'écartelait pour m'accueillir toujours plus profondément. Sa voix m'encourageait sans retenue aucune, elle expulsait de son ventre des mots qui s'achevaient en cris désarticulés. Relavant la tête, sa bouche cherchait la mienne, sa langue me léchait le visage, le cou, tout ce qui de moi était à sa portée. J'ai longtemps gardé sur le haut d'un de mes bras la trace de sa morsure au sang. Quand je m'endormis, le nez enfoui dans la masse abondante de sa chevelure sombre, je savais que c'était elle, que sans le savoir, mon existence n'avait été qu'une quête et que celle-ci était enfin achevée. À présent, me disais-je, la vie pourrait s'arrêter, j'aurais vécu.
Dans le silence de cette nuit, je contemple le corps d'églantine que me dévoilent par fragments les sursauts de son sommeil agité. À quoi pense-t-elle ? Quels cauchemars l'effrayent au point de déformer son visage désormais presque méconnaissable ? Le combat contre ses démons intimes semble avoir repris. Ses gémissements s'accentuent, hésitants entre plaintes et râles de plaisirs. Je ne parviens pas à discerner sur quel registre elle s'exprime, peut être les deux à la fois. J'aurais payé cher à cet instant pour pouvoir m'immiscer au cœur de ses pensées.
Sa main repose sur son pubis. Églantine me semble plus grande qu'à l'habitude, à moins que notre lit soit plus petit, non, ce n'est pas possible. L'obscurité doit me jouer des tours.
Son majeur s'introduit entre ses deux lèvres sombres, presque violettes. Son sexe avec lequel j'entretiens une discussion quasi quotidienne est de la couleur de celui d'une femme noire. la clarté rosée de son intimité contraste avec la fine découpe de sa vulve qui s'ouvre sur deux pétales plissés comme une rose d'automne.
Je ne veux pas l'interrompre ni la réveiller, tandis que son doigt s’anime avec lenteur. Je l'observe passionnément, ivre de ses senteurs profondes que j'imagine respirer. Pour la sentir, il faudrait que je m'approche au plus près. Cette simple vision que je surprends à son insu m'emplit de tant d'émotion que je ne ressens pas le besoin de contenter d'autres sens que ma vue. J'ai toujours été voyeur et cet abandon inconscient m'ouvrait une fenêtre sur une Églantine dévêtue de tout artifice. Nous aimions comme beaucoup d’amants nous offrir le spectacle mutuel de nos caresses solitaires. Mais sous le regard symétrique et complice de l’autre,cherchant plus à nous exciter mutuellement qu'à atteindre notre propre plaisir.
Les draps rejetés, le corps d'églantine se contorsionne en une pose indécente. Sa main crispée sur son sexe, elle appelle, hurle des sons où je crois distinguer mon prénom. Je m'approche de son oreille et doucement murmure.
  • Shhhhht... Calme-toi ma fée, je suis là, tout près de toi. Je serai toujours la.....
Je sens le sommeil m'engourdir et m'emporter sans que je ne puisse résister. Je ne voulais pas dormir, mais rester éveillé près d'églantine. Peu à peu, inexorablement, le silence de l'obscurité m'envahit. Je m’évanouis dans le néant.
Églantine est en nage. La porte de sa chambre vient de s'ouvrir. Elle se réveille du hurlement qu'elle pousse du fond de sa gorge. Désorientée, elle aperçoit une silhouette que de ses yeux myopes elle a du mal à discerner.
  • Tout va bien, Madame Chopin ? Je faisais mon tour et je vous ai entendue, vous n'arrivez toujours pas à dormir ?
  • Tu es la Vincent ?
  • Mais non Madame Chopin, vous savez bien où vous êtes. Vous avez besoin de parler ? Prenez donc un verre d'eau.
L'infirmière recouvre les jambes d'Églantine, porte un gobelet à sa bouche et rassurante soutient son dos pour l'aider à boire. Ses lèvres sèchent s'humectent lentement. Ses mains tremblent, ses cheveux sont défaits et lui barrent le visage.
  • Vous avez de si beaux cheveux, Madame Chopin, je voudrais tant avoir les mêmes à votre âge, lui dit l’infirmière rassurante en lui caressant la tête.
  • Il était-là, j'en suis sure. Il était là, avec moi. J'ai senti son odeur, j'ai entendu sa voix.
  • Calmez-vous, calmez-vous... C'est normal dans votre état et avec le traumatisme que vous avez subi... C'est normal d'avoir des hallucinations. Vous n'avez pas encore fait le deuil de votre époux. Ce sera long, mais ça viendra... Je demanderai au médecin de vous recevoir demain matin après le petit déjeuner, il faudra peut-être ajuster votre traitement. Vous avez été mariés combien de temps tous les deux ?

  • Quarante-sept ans, cela faisait presque cinquante ans que nous vivions ensemble... nous ne nous sommes jamais quittés plus de deux jours. Mais il était la, près de moi. J’en suis sure…   

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