Encore un
regard avant de partir.
Par Francisco Varga
Églantine, est j'en suis sûr, la plus
jolie femme qu'il m'ait été donné de croiser de toute mon
existence. C'est une magnifique fée brune aux longs cheveux soyeux
qui descendent avec grâce sur ses reins. Ses yeux en amande se
plissent de façon mutine quand elle sourit, laissant paraitre deux
fines rides d'expression au bord ses paupières, et rendent son
regard hypnotique. Les traits de son visage sont si doux que je ne
sais me rassasier de la contempler. J'ai besoin d'effleurer ses
lèvres, l'arête de son nez, le contour de ses oreilles, l'arrondi
de ses pommettes. Je ne m'en lasse pas et j'aime la voir paisiblement
s'assoupir puis s'endormir sous la caresse imaginaire du bout de mes
doigts. Ses paupières closes, sa respiration ralentit, son
expression se détend, je sais qu'à ce moment, elle a cessé de
feindre pour entrer en sommeil. Juste éclairée par une petite
veilleuse bleue qui, me dit-elle, la rassure, je la contemple en
silence. Submergé d'amour, je sens mon cœur battre plus vite et je
sais qu'à cet instant peu d'hommes sur terre sont plus heureux que
moi. Elle m’a choisi pour partager chacune de ses nuits.
Frileuse, elle dort souvent simplement
vêtue d'une de mes vestes de pyjama et de ses chaussettes en laine
blanche. Elle aime garder ses jambes libres et nues.
Agitée, elle bouge beaucoup au plus
profond de son sommeil. Elle se tourne, se retourne fébrilement, et
parfois se recroqueville comme si elle cherchait à retrouver l'antre
douillet d'avant sa naissance. Au cœur de la nuit, je l'entends
prononcer des mots que je ne comprends pas. Elle rêve et se bat
contre des démons qu'elle est la seule à voir derrière ses
paupières closes.
Elle sursaute, ses jambes se tendent.
Elle est engagée dans une bataille contre les ombres qui
l'entourent. Sorti de sa gorge, issu du creux de son ventre, un cri
rauque s'achève en gémissement.
Bras en croix, allongée sur le dos,
quelques boutons de sa veste se sont détachés, dévoilant un de ses
seins, rond comme un petit melon savoureux. Je le devine à peine. À
la voir si belle et désirable, je suis ému. J'imagine le trouble
d'un Vermeer, qui de l'inlassable caresse de son pinceau laissait
frémissante la peau de cette jeune fille inconnue, qu'une simple
perle fichée dans le lobe de son oreille à rendue immortelle.
J'aimerais poser mes lèvres sur ses
larges et claires aréoles, appétissantes comme une fragile
friandise. Je retiens mon geste. Je ne veux pas l'éveiller. Je goute
cet instant d'éternité ou enfin immobile, ses cheveux défaits
s'écoulent comme un torrent de montagne dans la nuit.
Le temps d’un répit dans son combat
nocturne, sa poitrine apaisée se soulève lentement au rythme
silencieux de son souffle régulier. La texture de sa peau est
délicate au point que je pourrais imaginer distinguer chaque
battement de son cœur. Des draps hirsutes qui ne la couvrent presque
plus, dépasse une de ses cuisses nues.
Ses jambes, ce soir, me semblent
immenses. Sous ses mollets nacrés, se dessine la fine attache de ses
chevilles que je devine au travers de la laine de ses chaussettes.
Je me souviens que le jour où je l'ai
pour la première fois aperçue dans la rue c'est de l'agile
nervosité de sa silhouette de danseuse dont je suis tout d'abord
tombé amoureux. Elle était court vêtue ce jour-là. J’ai su plus
tard que ce n'était pas son habitude. À la différence des dizaines
de femmes que j'avais consommées, je l'ai tout de suite adorée,
gravant dans ma mémoire l'image de sa démarche surnaturelle. Je ne
savais pas que ce jour-là, nous nous rendions au même endroit, et
que ce hasard changerait le cours de ma vie. J'ignorais qu'une femme,
si jolie fut elle, pouvait toucher mon âme par le seul équilibre
parfait de sa silhouette.
On dit que chaque femme est toujours
consciente du regard que pose le désir sur elle. Je crois pour ma
part que séduire et attirer l’attention des hommes est une
condition de la féminité. Nous avons tous deux parfois évoqué
l'instant de notre rencontre. Elle m'a inlassablement assuré ne pas
s'être rendu compte de quoi que ce soit. Dois-je la croire ?
Je n'ai jamais été le genre d'homme
de celles que j'ai su désirer. Les femmes dont j’aurais pu être
amoureux ne m’ont jamais remarqué. J'ai pris l'habitude de n'être
qu'un simple numéro de téléphone, un anonyme interchangeable pour
les innombrables coups d'un soir qui ont constellé mon existence de
chasseur à l'affût.
Ma rencontre avec églantine a été
d'une telle banalité qu'elle devait probablement se répéter à
l'identique, au même moment, des milliers de fois dans le monde.
Un vernissage ;
Beaucoup d'invités, beaucoup de bruit
;
Bises à l'artiste ;
« comment vas-tu ma chérie ? »
Un buffet impossible à approcher ;
Elle est seule, discrètement posée ;
Je me bats pour saisir deux coupes ;
J'hésite ;
Elle est toujours seule ;
Je me lance ;
- vous n'y arriverez pas si vous restez aussi sage et polie. Ça vous tente ? J'ai un verre de trop.
- Merci, c'est très aimable de votre part.
- Oh, j'ai oublié de me présenter, moi c'est Vincent.
- Enchantée, Vincent, me répond-elle en souriant de sa bouche perlée, moi c'est Églantine.
- Vous connaissez l’artiste ?
- Un peu, pas vraiment, j’ai vu des affiches dans le quartier et je me suis dit que ca devait être amusant. C’est mon premier vernissage. Je viens d’arriver sur paris.
- D’où venez-vous ?
- De Grenoble et vous ? vous êtes parisien ou débarqué comme moi de votre province ?
- Je suis parisien depuis toujours, et encore, j’ai du mal à franchir la seine pour me rendre sur la rive droite.
- Vous pensez que nous pourrons gouter aux petits fours ? ils m’ont l’air délicieux. Mais il faudrait une arme pour s’approcher du buffet. Vous avez ca sur vous ?
- Peut-être une baguette magique, mais on pourrait tenter de crier au feu….
Notre échange se poursuivit pendant
une heure sur un mode tout aussi ordinaire. Il n’y avait plus rien
à boire ni à manger et l’exposition se vidait, tandis que le
brouhaha mondain s’atténuait peu à peu.
Deux numéros de téléphone échangés ;
Un coup de fil le lendemain ;
un dîner;
puis un verre;
une nuit;
un réveil à deux un samedi matin;
puis un dimanche et finalement deux
amants qui ne parviennent plus à passer du temps l'un sans l'autre.
Entre nous, tout s'est déroulé très
rapidement. Notre histoire aurait pu débuter comme n'importe qu'elle
coucherie ordinaire. Comme la plupart de mes aventures précédentes,
la plupart sans suite et souvent sans plaisir. Mais, je savais que ce
serait elle.
La toute première fois que je la
pénétrai, je ressentis qu'elle m'accueillait dans son corps, dans
sa vie et dans son âme. Églantine était le premier être que je
connaissais réellement. Au-delà de ma jouissance, j'expérimentais
enfin l'orgasme. Non pas le simple réflexe libérateur de la tension
de mon désir, ni l'aboutissement épileptique du frottement régulier
de nos muqueuses humides, mais une vague de sensations inédites, qui
me submergeaient me laissant pantelant. je recherchais le contact
avec la moindre parcelle de sa peau. Mes mains se nourrissaient de la
douce chaleur de son épiderme. Je ne me rassasiais pas de l'odeur de
sa sueur. Je trempais mes doigts en elle pour me délecter du goût
de nos sécrétions mélangées au gout de cannelle poivrée. Son
sexe brulant et inondé palpitait en se resserrant et m'aspirant
comme la bouche avide d’un nouveau-né. Je ne voulais plus
seulement lui faire l'amour, mais l'investir totalement. J'éprouvais
un bonheur d'une si profonde plénitude que je sentais monter à mes
yeux des larmes impossibles à réfréner. À cet instant je ne
ressentais pas la moindre gêne, ni le besoin non plus de devoir me
contenir. J'éclatais en sanglots sans comprendre ce qu'il se passait
au fond de moi. Ses jambes enserraient mes hanches, avec violence ses
mains crochetaient mes flancs, son corps s'écartelait pour
m'accueillir toujours plus profondément. Sa voix m'encourageait sans
retenue aucune, elle expulsait de son ventre des mots qui
s'achevaient en cris désarticulés. Relavant la tête, sa bouche
cherchait la mienne, sa langue me léchait le visage, le cou, tout ce
qui de moi était à sa portée. J'ai longtemps gardé sur le haut
d'un de mes bras la trace de sa morsure au sang. Quand je m'endormis,
le nez enfoui dans la masse abondante de sa chevelure sombre, je
savais que c'était elle, que sans le savoir, mon existence n'avait
été qu'une quête et que celle-ci était enfin achevée. À
présent, me disais-je, la vie pourrait s'arrêter, j'aurais vécu.
Dans le silence de cette nuit, je
contemple le corps d'églantine que me dévoilent par fragments les
sursauts de son sommeil agité. À quoi pense-t-elle ? Quels
cauchemars l'effrayent au point de déformer son visage désormais
presque méconnaissable ? Le combat contre ses démons intimes semble
avoir repris. Ses gémissements s'accentuent, hésitants entre
plaintes et râles de plaisirs. Je ne parviens pas à discerner sur
quel registre elle s'exprime, peut être les deux à la fois.
J'aurais payé cher à cet instant pour pouvoir m'immiscer au cœur
de ses pensées.
Sa main repose sur son pubis. Églantine
me semble plus grande qu'à l'habitude, à moins que notre lit soit
plus petit, non, ce n'est pas possible. L'obscurité doit me jouer
des tours.
Son majeur s'introduit entre ses deux
lèvres sombres, presque violettes. Son sexe avec lequel j'entretiens
une discussion quasi quotidienne est de la couleur de celui d'une
femme noire. la clarté rosée de son intimité contraste avec la
fine découpe de sa vulve qui s'ouvre sur deux pétales plissés
comme une rose d'automne.
Je ne veux pas l'interrompre ni la
réveiller, tandis que son doigt s’anime avec lenteur. Je l'observe
passionnément, ivre de ses senteurs profondes que j'imagine
respirer. Pour la sentir, il faudrait que je m'approche au plus près.
Cette simple vision que je surprends à son insu m'emplit de tant
d'émotion que je ne ressens pas le besoin de contenter d'autres sens
que ma vue. J'ai toujours été voyeur et cet abandon inconscient
m'ouvrait une fenêtre sur une Églantine dévêtue de tout artifice.
Nous aimions comme beaucoup d’amants nous offrir le spectacle
mutuel de nos caresses solitaires. Mais sous le regard symétrique et
complice de l’autre,cherchant plus à nous exciter mutuellement
qu'à atteindre notre propre plaisir.
Les draps rejetés, le corps
d'églantine se contorsionne en une pose indécente. Sa main crispée
sur son sexe, elle appelle, hurle des sons où je crois distinguer
mon prénom. Je m'approche de son oreille et doucement murmure.
- Shhhhht... Calme-toi ma fée, je suis là, tout près de toi. Je serai toujours la.....
Je sens le sommeil m'engourdir et
m'emporter sans que je ne puisse résister. Je ne voulais pas dormir,
mais rester éveillé près d'églantine. Peu à peu, inexorablement,
le silence de l'obscurité m'envahit. Je m’évanouis dans le néant.
Églantine est en nage. La porte de sa
chambre vient de s'ouvrir. Elle se réveille du hurlement qu'elle
pousse du fond de sa gorge. Désorientée, elle aperçoit une
silhouette que de ses yeux myopes elle a du mal à discerner.
- Tout va bien, Madame Chopin ? Je faisais mon tour et je vous ai entendue, vous n'arrivez toujours pas à dormir ?
- Tu es la Vincent ?
- Mais non Madame Chopin, vous savez bien où vous êtes. Vous avez besoin de parler ? Prenez donc un verre d'eau.
L'infirmière recouvre les jambes
d'Églantine, porte un gobelet à sa bouche et rassurante soutient
son dos pour l'aider à boire. Ses lèvres sèchent s'humectent
lentement. Ses mains tremblent, ses cheveux sont défaits et lui
barrent le visage.
- Vous avez de si beaux cheveux, Madame Chopin, je voudrais tant avoir les mêmes à votre âge, lui dit l’infirmière rassurante en lui caressant la tête.
- Il était-là, j'en suis sure. Il était là, avec moi. J'ai senti son odeur, j'ai entendu sa voix.
- Calmez-vous, calmez-vous... C'est normal dans votre état et avec le traumatisme que vous avez subi... C'est normal d'avoir des hallucinations. Vous n'avez pas encore fait le deuil de votre époux. Ce sera long, mais ça viendra... Je demanderai au médecin de vous recevoir demain matin après le petit déjeuner, il faudra peut-être ajuster votre traitement. Vous avez été mariés combien de temps tous les deux ?
- Quarante-sept ans, cela faisait presque cinquante ans que nous vivions ensemble... nous ne nous sommes jamais quittés plus de deux jours. Mais il était la, près de moi. J’en suis sure…
Que dire je suis profondément émue à la lecture de vos mots
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