" Saul ne dit rien ce jour -la; car pensa t il "c'est par hasard, il n'est pas pur, certainement, il n'est pas pur".
Le soleil est sur le point d’apparaitre. A l’heure timide où le silence se fait, la nuit n’est plus; le jour pas encore déclaré. Les oiseaux des premières lueurs se sont tus. les feuillages s'immobilisent. les hommes, épuisés de leur longue veille somnolent assis en silence. le monde retient son souffle, suspendu à l'instant ou poindra la toute première flamme, celle qui enflammera le ciel. Saul était lui aussi installé dans le silence. Il attisait les braises en mâchonnant un os de poulet de la veille. Ce serait le premier jour sans pluie depuis qu'ils avaient tous ensemble quitté les montagnes. Saul était un voyageur. Il avait fait sa famille de cette bande de barbares. Ils l'avaient accueilli sans jamais lui poser la moindre question à propos de l'histoire qui les avait conduit parmi eux.
Il n'était pas des leurs, il ne le serait jamais. C'était un peuple sans histoire, ou plutôt qui ne semblait pas s'y intéresser. Ils ne connaissaient leurs ancêtres uniquement par les noms des arbres pour les plus modestes, des forêts et des montagnes pour ceux à qui ils attribuaient le plus de prestige. Leur notion du temps était diffuse. Pour eux, la mémoire se comptait en saison, en année heureuse ou de misères. Leurs divinités, aux noms étranges étaient plus nombreux encore que les membres de toutes les tribus. Ils ne les craignaient ni les vénéraient. Ils étaient simplement les dieux qu'ils se contentaient de nommer sans leur attribuer de pouvoirs particuliers.
Chacun était responsable d'un groupe de femmes et d'enfants qui tous restaient libres de partir se placer sous la protection mais jamais l'autorité d'un autre.
La notion de mariage comme nous l'entendons leur était étrangère. Les couples se formaient et ceux des faisait au gré des événements les maladies des accidents, parfois même de la simple attraction d'un homme et d'une femme. Les enfants, vieille femme, celles atteintes d'infirmité ou de démence, suivaient les plus jeunes sans qu'aucun homme ne puisse se soustraire à leur choix.
Certaines situations étaient au fil du temps devenu très complexe, de sorte que rares étaient ceux qui avaient une idée précise de leur filiation.
Plus de crimes étaient punis. Il s'en remettait la plupart du temps au destin. Seul le violent était sanctionné par une exécution aussi sommaire que cruelles expéditives. C'était souvent le fait d'étrangers ou de marchands dont la route par les montagnes croisait parfois leur chemin. Il fallait alors que le coupable soit pris sur le fait à l'accomplissement de son forfait ou bien que le criminel soit simplement reconnu par sa victime. Ceux qui le savaient ne laissaient pas de trace ne prenaient jamais le risque d'être découvert ; cela même de nombreuses saisons plus tard.
Saül était celui qu'ils nommaient le tourneur il n'avait jamais su pourquoi. Leur dialecte était difficile à comprendre et n'avait que peu en commun avec les grandes langues comme le latin l'arabe ou l'hébreu.
Saul avait toujours réussi à se faire comprendre en mélangeant le latin un peu d'arabes et quelques mots entendus dans son voyage et bien que prononcé différemment semblait partout hors des villes reconnues.
Quelques-uns parlaient un peu de latin. Ce peuple était peu loquace. La plupart se faisaient comprendre par une gestuelle et des mimiques parfaitement expressives. Le langage était utilitaire ; les discussions souvent réduites à quelques phrases parfois accompagnées de rire. La plupart du temps, le silence régnait parmi eux ; nulle ne comptait ses exploits réels ou imaginaires. En seulement quelques mois, Saul avait réussi à maitriser leur langue pour être en mesure de communiquer sans risquer une bévue qui l'aurait mise au banc. Il s'était alors rendu compte que sa crainte n'était pas fondée. Le peuple des montagnes était à la fois aussi peu loquace que tolérant ou en tout cas, le moins formaliste qu'il n'est jamais rencontré durant toutes ces années à arpenter les chemins de l'empire et de ses voisins alliés ou soumis.
Saul était un homme libre aujourd'hui, cela n'avait pas toujours été le cas. Il était né près de la frontière nord de ce qui avait jadis été la terre de pharaon. Sa mère était morte en couche de même que le frère auquel il avait été lié, qu'aucun médecin n'avait su extraire avant qu'il ne succombe d'asphyxie et d'épuisement.
Saul était né d’un père pécheur et sa mère avait tant enfanté que son corps épuisé l’avait abandonnée bien avant qu’elle ne soit vieille.
Il avait grandi auprès de ses tantes, femmes austères, toujours vêtues de noir. Sa fratrie était nombreuse. Il était le dernier et comme son père et son frère se destinait à devenir pécheur.
Tout jeune, il se levait avant l’aube et préparait lignes et appâts. C’était un travail éreintant qui lui avait creusé de profondes rigoles sur ses doigts qui ne ressemblaient plus à ceux d’un enfant. Il savait que le métier était rude. Son apprentissage était à la mesure de sa dureté.
La barque était trop petite pour les contenir tous les trois. Il n’y avait pas encore sa place.
Un soir, Jacques, son frère n’est pas apparu. Saul sur les ordres de son père est parti à sa recherche. La route était pleine des troupes romaines, serpent épais et grondant à chaque pas martelé.
Il le reconnut avant de l’avoir vu suspendu par les poignets à la croix de bois que l’on destinait aux ennemis de l’empire, le visage effondré sur son torse. Jacques avait renoncé à chercher une ultime inspiration achevant ainsi une lente agonie. Autour de lui, d’autres silhouettes morbides se découpaient morbides dans le rouge éclatant de cette fin de journée d’été.
Il avait été exécuté sans raison ; parce qu’il était un homme jeune et fort. Parce qu’il avait regardé passer les soldats, attirant l’attention d’un de leurs chefs de pourpre vêtu, campé haut sur son cheval.
Son père ne dit rien, ses traits restèrent fermés. Il avait de nouveau perdu un de ses fils.
Au matin, Saul embarquait pour de longues heures de mer, prenant la place de son frère sous la voile silencieuse.
Non, rien ne le destinait, lui, l’homme de la mer, l’enfant du soleil à contempler ainsi l’ombre des montagnes, dans l’attente de la venue du jour.
Il avait fui, simplement fui. Comme les autres. Comme ceux qui proclamaient leur foi en l’homme. Comme ceux qui n’avaient plus un tesson de terre auquel s’accrocher. Il avait vu les femmes enceintes éventrées, leurs enfants sortis de leur ventre et planté au bout des lances par trois ou quatre comme des oiseaux piégés. Il avait vu les soldats s’amuser des tourments des hommes quand ils déchiraient leurs filles devant leurs yeux. Il avait vu les mères forcées à laver les viscères dispersés de leurs fils devenir folles et torturées par les légionnaires qui riaient aux larmes à les voir empalées devant leurs maisons.
Les romains disaient d’eux qu’ils étaient des barbares. Leur village s’était trouvé sur leur route de retour.
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