jeudi 3 mai 2012

Tu veux jouer ?


Sourcils froncés, les yeux fixés sur la bouteille d’eau pétillante elle m’annonça soudain :

-          Je suis mariée

-          Moi aussi – lui répondis-je en lui tendant mon briquet allumé.

Fouillant son sac à main, elle en sortit une fine cigarette qu’elle porta aussitôt à ses lèvres, se pencha légèrement et posant un instant ses deux mains en coupe autour de la flamme, fit rougir le bout qui d’inerte devint incandescent.

Silencieuse, elle reprit l’observation attentive de la bouteille d’eau tandis que je posais mon briquet sur la table, soigneusement aligné avec le bord.

-          Vous ne fumez pas ?

-          Non, j’ai arrêté.

-          Ça ne vous dérange pas ?

-          Ça a l’air de vous faire du bien.

-          Vous ne fumez pas et vous avez un briquet sur vous ?

-          J’aime bien le geste de donner du feu … aux femmes uniquement. Je vous ai regardé au moment où vous allumiez votre cigarette, si concentrée, plus rien ne semblait compter, jusqu’au moment où est apparue la fumée.

Elle reprit une bouffée qu’elle inhala longuement et rajusta une mèche de cheveux imaginaire, la replaçant derrière son oreille.

-          Je ne sais vraiment pas ce qui m’a pris d’accepter votre invitation… et vous me regardez la, sans presque rien dire… je me sens gênée… je me demande vraiment ce que je fais la ?

-          Je vous ai juste proposé de partager un verre avec moi… mais je ne pensais pas que vous accepteriez… juste je me suis dit, parce que j’aimais votre silhouette que je me sentirais mieux en vous parlant qu’en regrettant de ne pas avoir osé vous aborder, même si vous ne me répondiez pas.

-          Et maintenant ?

-          On boit un verre, vous fumez une cigarette, il fait doux et moi je suis heureux de passer un moment en votre compagnie.

-          Vous ne me connaissez même pas.

-          Je sais que vous êtes mariée.

-          C’est moi qui viens de vous le dire et vous aussi d’ailleurs. Elle le sait votre femme que vous offrez des verres à des inconnues dans le parc du Luxembourg ?

-          Non, mais elle n’est pas là, et ce n’est pas moi qui lui dirait que des inconnues acceptent les verres que je leur offre.

Je m’attendais à une réponse, mais elle se contenta de hocher la tête tout en riant brièvement comme on souffle dans son nez.

Elle avait déjà repris une cigarette, la tenant de deux doigts entre ses lèvres. De nouveau, je lui offrais la flamme de mon briquet. De nouveau, elle faisait une coupe de ses mains, mais sans éviter cette fois, le contact avec mes doigts.

Se reculant de la table, elle se cala au fond de sa chaise et m’observa. Nous ne parlions plus depuis une vingtaine de secondes et sous son regard silencieux qui me détaillait, je me sentais embarrassé.

Tendant la main, elle prit mon briquet et jouant avec, l’examina avec minutie.

-          C’est un bel objet, il est lourd.

-          Je l’ai avec moi depuis toujours, enfin, depuis longtemps.

-          Combien en avez-vous allumé avec ?

-          De quoi ?

-          Depuis que tu as arrêté de fumer.

-          Je ne sais pas, je ne tiens pas ce genre de comptes.

Son regard me souriait, ironique, indépendant de ses lèvres qui continuaient de fumer.

-          Je vais le prendre avec moi. Tu me donnes ton numéro, celui de chez toi, le fixe et ton portable aussi. Je te le rendrai la prochaine fois que nous nous verrons. Mais c’est moi qui rappellerai et sur le numéro que je veux, quand je veux. Alors, tu veux jouer ?

Sortant de son sac un magnifique stylo mont blanc, elle nota mes numéros au dos du ticket que le serveur nous avait apporté dans une soucoupe en plastique vert avec nos consommations.

-          Je ne te laisse pas écrire, je ne voudrais pas que tu prennes un otage.

Apres avoir rangé le bout de papier et le stylo, elle se leva et alluma une autre cigarette avec mon briquet.

-          Bon, bien, à bientôt, peut être… me dit-elle en m’adressant un sourire franc. Puis elle se retourna et s’éloigna.

Je restais assis quelques instants, la regardant partir. Avant qu’elle ne disparaisse, par effet de contre-jour, je vis son corps se découper nettement sous sa longue robe blanche.

Sortant mon paquet de cigarettes, je regardais autour de moi cherchant du feu. Personne ne fumait.


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