jeudi 30 août 2012

Tropismes



 Desc: Claire se plaint à Alice de sa vie sexuelle avec son compagnon. Alice lui explique qu'elle doit apprendre à se lacher. Elle lui raconte, comment avec un inconnu, dans un club échangiste qu'elle fréquentait pour la première fois, elle a éprouvé l'orgasme le plus intense de son existence alors qu'elle n'était la que sur la demande insistante de son compagnon.....



- Si tu savais Alice, comme Laurent me fatigue, à tout le temps vouloir que je lui fasse une description rétrospective de mes orgasmes. J'ai l'impression de subir une séance de débriefing de mon coach. Qu'est-ce que j'en sais si je préfère l'orgasme vaginal ou clitoridien. Si déjà je pouvais éprouver un orgasme, ça me changerait et j'aurais peut-être quelque chose à lui raconter. Et toi Alice ?
- Moi quoi ? Claire,
- Tu trouves que c'est normal que je n'arrive pas à décoller avec lui ?
- Je n'en sais rien, tu lui as expliqué ce que tu préférais.
- C'est la meilleure celle-là. C'est à moi de lui expliquer comment il doit s'y prendre pour me faire jouir ? Et je dois peut être lui donner un mode d'emploi ? Tu me prends pour une commode de chez Ikea ?
- Mais Claire, si tu ne lui dis pas comment tu aimes être caressée, et que tu ne lui en parles pas après, il ne pourra jamais savoir comment s'y prendre correctement.
- A cinquante ans, tout de même, je ne suis pas la première femme qu'il touche, il devrait savoir.
- Mais ça ne te fait rien du tout ou c'est juste l'orgasme que tu n'arrives pas à atteindre ?
- Non, j'aime bien. Mais ce que j'aime surtout, c'est quand il me prend dans ses bras. Mais tous les trucs qu'il voudrait me faire, avec lui, ça me bloque…
- C'est quoi les trucs qu'il voudrait te faire.
- Bien, je ne sais pas moi. Elle réfléchit un instant et reprit. Tiens, tu vois, des fois il m'allonge et me fourre sa tête entre les jambes. Il m'enlève ma culotte et veut m'embrasser là.
- Et alors, tu n'aimes pas ?
- Ca me gêne un peu. Je n'ai pas envie qu'il me voit comme une salope.
- Moi tu sais, j'adore ça, et j'ai plutôt du mal à en trouver un qui aime vraiment me le faire correctement. Et alors, donc, tu trouves que je suis une salope moi.
- Mais non, Alice, ce n'est pas ce que je voulais dire.
- C'est ce que tu as dit.
- Prends pas la mouche… Ca me gêne, c'est tout. C'est la première fois que je ressens vraiment quelque chose pour un homme et qu'il veut bien me parler de futur et tout ça quoi.
- Et tu penses que c'est parce que tu fais ta timide, qu'il t'aimera plus et qu'il restera toute sa vie avec toi ?
- Je ne sais pas faire autrement.
- En fait, comme tu tiens à lui, tu ne peux pas vraiment te lâcher et tu ne t'éclates pas.
- Mais je l'aime, enfin, je crois…
- Je n'ai pas dit que tu ne l'aimais pas, justement, c'est peut être ça qui te bloque.
- Je sais, je suis bête.
- Mais non ma chérie, tu n'es pas bête, c'est arrivé à tout le monde, à moi aussi. Tu veux que je te dise quand j'ai pris le plus grand pied de ma vie ? C'était avec mon ex,
- Lequel de tes ex ?
- Le dernier, celui qui a vraiment compté pour moi. Il voulait que nous allions dans un club échangiste et moi ça ne me disait trop rien.
- Ils veulent tous ca j'ai l'impression.
- Enfin, un jour, ou plutôt un soir, je luis dis d'accord, on y va. Mais juste pour regarder.
- Alors vous y avez été vraiment ?
- Oui, il n'attendait que ça depuis des mois, il savait exactement où aller et il m'a briefé sur la tenue que je devais porter. Talons, jupe courte, bas, il voulait que je sente le sexe à trois kilomètres.
- Il voulait que tu sois habillée comme une pute oui.
- Une pute je sais pas, mais sexy oui.
- On peut être sexy sans forcément ressembler à une pouf.
- Pour nous, peut-être, mais pas pour les mecs. Bon, alors on se retrouvre devant la porte, et je te prie de croire que je n'en menais pas large et lui, j'en suis sure, encore moins que moi.
- Pourtant, c'est lui qui voulait t'y amener, mais il cherchait quoi au juste, il voulait se taper des nanas ?
- Je ne sais pas trop ce qu'il voulait, on n'en avait pas vraiment parlé avant, on aurait dû. Je crois que c'était juste un fantasme. En fait, ce qu'il voulait, tu ne vas pas me croire. Il voulait me voir prise par un autre devant lui.
- Non ? Mais je croyais qu'il était amoureux de toi.
- Ca n'a rien à voir… Bien sûr qu'il était fou amoureux de moi à l'époque, mais c'était son fantasme, enfin, il m'en avait parlé sans vraiment me le dire, du style " tu sais ma chérie, j'ai vraiment envie que tu t'amuses et moi ce que je veux c'est ton bonheur, alors, si tu as envie de te lâcher vas-y"
- Tu parles, c'est pas trop clair comme message, j'ai plutôt l'impression qu'il cherchait une excuse pour aller baiser en douce dans ton dos.
- Justement non, je lui avais dit que si je le voyais fourrer sa langue ou sa queue ailleurs que chez moi, il pouvait m'oublier et qu'il n'aurait même pas à prendre la peine de me raccompagner à la maison.
- Il voulait un plan à trois, comme ça tu lui aurais servi d'éclaireuse avec une autre.
- Peut-être, mais ça ne s'est pas passé comme ça. A l’accueil, une dame, très souriante nous a demandé si c’était la première fois que nous étions ses invités. J’avais les yeux fixés sur le bout de mes escarpins et une terrible envie d’allumer une cigarette.
- Dis-moi quand tu n’as pas une terrible envie d’allumer une cigarette.
- En tous cas, la dame à l’accueil, elle s’appelle Martine, nous dit que l’endroit est intégralement non-fumeur, et nous propose une petite visite des lieux.
- Vous vous êtes déshabillés tout de suite ?
- Mais non, a quoi ça aurait servi que je sois sexy en talons aiguilles. L’endroit n’était pas très grand, pas comme une boite de nuit, et la musique suffisamment forte ne nous assourdissait pas non plus. Il était facile de s’entendre, à condition de se pencher à l’oreille de l’autre, mais sans crier.
- Ça doit faire des années que je ne suis pas retournée en boite, mais je me souviens qu’entre la fumée et le bruit, je ressortais régulièrement avec un mal de crane affreux.
- Enfin, comme je te le dis, l’ambiance était plutôt chaleureuse.
- Il y avait beaucoup de monde ?
- Non, nous étions arrivés tôt, il n’était pas vingt-trois heures. Martine nous a dit que les habitués venaient chez elle généralement après diner, pas avant minuit, mais que c’était très bien pour la première fois d’arriver en avance, on pourrait s’installer confortablement et s’habituer.
- Alors vous étiez tous les deux, seuls avec la tenancière.
- Il y avait quelques couples qui dansaient et quelques hommes seuls au bar qui les regardaient.
- Des hommes seuls, je croyais que ces endroits étaient réservés aux couples.
- Ca dépend des jours, mais cette soirée la, en semaine en plus, c’était ce qu’ils appellent une soirée mixte.
- Une soirée mixte ?
- Avec des couples, des hommes et des femmes seules. Martine a continué la visite en nous montrant son sauna, les salles de bains, les petits coins pour s’isoler si nous le souhaitions, c’était très propre et ça sentait bon. Je me sentais mieux, mais je n’avais qu’une trouille, celle de croiser quelqu’un que je connaissais.
- Tu imagines, l’horreur.
- J’y avais pensé, je m’étais mis une perruque blonde. Normalement, je devais être méconnaissable.
- On nous a finalement installé à une petite table, légèrement en retrait, mais avec une vue privilégiée sur la piste de danse. Elle a pris notre commande et nous a rappelé que le but ici n’était pas de s’enivrer mais de se sentir à l’aise, c’est pourquoi l’alcool était limité à trois consommations.
- Comment ils font pour vérifier ?
- A l’entrée, on te donne trois jetons par personne, la première consommation est offerte, si tu veux prendre un autre verre, tu dois donner ton jeton à la serveuse.
- C’est n’importe quoi, si tu avais donné tes jetons à ton mec, ils n’auraient vu que du feu.
- Justement, pour les garçons, les jetons sont noirs et pour les filles ils sont blancs. Bien sûr, un garçon peut donner à un autre, c’est pas parfait, mais ça limite la consommation. Alors, comme je te le disais, on était assis, tous les deux sur une banquette très basse et nous regardions les couples qui arrivaient. Laurent me tenait contre lui par les épaules et me caressait le bras. Moi, j’avais mis une robe tellement courte, et la banquette était si basse qu’elle me remontait au-dessus des bas, presque jusqu’au string. Je m’entortillais les jambes et je n’arretais pas de tirer sur ma robe pour qu’on ne voie pas ma culotte.
- Mais elle était vraiment si courte que ca ?
- Courte, mais c’est surtout les banquettes qui étaient très basses, on devait avoir les fesses à une trentaine de centimètres de la moquette ;
- Ca devait être fait expres non ?
- A ton avis ?
- Oui, bien sûr. Si c’avait été moi, j’aurais été tellement gênée que ….
- Je n’étais vraiment pas trop à mon aise, mais, Laurent m’a montré une femme que je n’avais pas encore vue, et qui dansait au milieu de deux hommes. C’est la qu’il m’a dit d’arrêter de me tortiller, que c’était le meilleur moyen de me faire remarquer.
- Et la femme, elle dansait comment ? Au fait, tu avais mis tes lunettes cette fois ci ?
- J’étais partie pour me faire conduire et je ne voulais pas les mettre, mais Laurent a insisté pour que je les garde, elles en rajoutaient à mon côté sexy.
- Au moins tu auras passé ta soirée en clair.
- Oui, j’ai tout vu, mais alors vraiment tout. La femme, comme je te le disais, était en train de coincer entre deux gars d’une trentaine d’année pas plus.
- Et elle, qu’elle Age avait-elle.
- Un peu plus, peut être quarante, mais surement moins. Trente-sept, trente-huit je dirais. Assez jolie, brune, avec des lunettes elle aussi. Elle avait un décolleté qui descendait très bas, et rien au-dessous. Quand elle bougeait ses bras, on voyait régulièrement un de ses seins qui sortait du chemisier. Elle était faite un peu comme moi, mais plus petite, elle n’avait pas besoin de soutien-gorge, mais je suis certaine qu’ils étaient refaits. Donc elle dansait entre les deux hommes, ses bras autour du cou de celui qui lui faisait face, et se collant aussi en bougeant ses fesses contre celui derrière elle. Elle avait l’air d’apprécier, en tous cas ca la faisait rire.
- Et les types, ils faisaient quoi, ils mataient ?
- Les types comme tu dis, ils ne faisaient pas que mater, ils lui caressaient les seins et les cuisses. Et elle, elle riait.
- Elle devait être saoule cette pauvre fille.
- Je ne sais pas, mais elle avait l’air de bien tenir sur ses talons. Celui qui était derrière elle l’embrassait dans le cou et avec sa main lui remontait sa mini - mini jupe. Julien, lui, il ne perdait pas une miette du spectacle, il en oubliait même de boire son whisky. Alors, à force de remonter la jupe, on lui a vu ses fesses. Elle ne portait rien dessous. J’aurais dû m’en rendre compte, le sol était tapissé de miroirs, mais pas en verre, une sorte de substance qui fait la même chose, mais sur laquelle tu peux marcher et danser.
- D’accord, je vois….
- Ca c’est sûr qu’on voyait. La, Julien s’est réveillé et j’ai senti sa main sur sa cuisse. Il voulait me caresser et que j’enlève moi aussi mon string.
- Non, ne me dis pas que tu l’as fait.
- On était dans le noir, ça lui faisait plaisir, et moi aussi j’avais envie. Je l’ai enlevé et je le lui en ai fait une pochette. Après, ça a été vraiment bon. Lui il regardait le couple, enfin, le trio qui allait de plus en plus loin sur la piste et moi je me laissais faire en fermant les yeux tellement c’était agréable ce qu’il me faisait.
- et pendant ce temps-là, tout le monde pouvait te voir.
- Oui, c’est possible, mais il y avait de plus en plus de monde, et ça devenait de plus en plus chaud de partout, et même si on pouvait nous voir, on était loin d’être ceux qui faisaient le spectacle.

à suivre .......


dimanche 24 juin 2012

Et peu a peu, on n'aime plus (Partie 1)


Son mari l’a quittée pour une femme plus jeune, plus fraiche et peut-être plus sexy qu’elle. Il l’a quittée parce qu’une autre est venue vers lui. Alors, il s’est laissé griser par l’aventure qui lui était offerte il pouvait ressentir à nouveau l’excitation du début mais aussi l’orgueil d’être encore un objet de désir.. Cette histoire, à condition de rester secrète, aurait pu rester sans lendemain et chacun y aurait trouvé son compte.

lundi 11 juin 2012

La leçon de dessin

Point de vue d'Alice



Chapitre 1 — La rencontre



Cours de dessin

J'ai toujours adoré cet instant de calme, juste avant que ne commence le cours de dessin. Le professeur n'était pas encore arrivé, mais nous l'entendions discuter dans le couloir. Je me demandais quel serait le sujet de la séance d'aujourd'hui. C'est un peu comme une pochette surprise, il aime nous surprendre et nous guider là où nous ne nous attendons pas à aller, loin de notre confort, tant artistique qu'intellectuel. J'avoue qu'au-delà de la simple gageüre technique que parfois il nous impose, j'ai quelquefois été mal à l'aise avec ses sujets imposés. Dessiner un lapin mort, ou un couple enlacé de vieilles personnes sont des expériences que j'ai abordées avec une angoisse certaine. Mais il est comme ça le Jacques. Il nous répète souvent que ce n'est pas chez lui que nous apprendrons à refaire la photo du chien, ou celle des petits chatons dans leur panier. Une fois, pour rire, il nous a distribué un calendrier de la poste. En nous disant : « alors, les mémés, vous allez être contentes pour une fois, ça ne va pas vous remuer les tripes.... ah ah ah ». Nous nous regardions interrogatives, nous doutant qu'il n'en resterait pas là. En effet, et je m'y attendais, il était content de sa bonne blague. Il nous distribua à chacune un pot de gesso et un pinceau de bâtiment, nous demandant de barbouiller de plâtre liquide les calendriers, en formant des épaisseurs irrégulières sur le support. Nous nous attachions à suivre scrupuleusement ses instructions, rectifiant nos œuvres selon ses indications et ses remarques. Au bout d'un quart d'heure, nous avions terminé. Il nous demanda, tandis que l'apprêt était encore humide de dessiner avec nos doigts le bout de nos phalanges, le tranchant de nos mains, de creuser le blanc, de le salir, de lui donner une forme. Nous sommes toutes, bien obéissantes, et si cet exercice nous donnait l'impression de revenir en enfance, nous détruisions de nos mains ce que nous avions sagement appliqué à coups de pinceau bien léchés. Jacques passait derrière nous et en demandait toujours un peu plus.... selon lui nos toiles étaient bien trop sages, il voulait que nous y alliions carrément, nous confisquait les outils pour nous contraindre à prélever la matière directement dans le pot avec nos doigts. Mon carton dégoulinait de plâtre, et là où j'avais formé des structures de matière, tout s'effondrait dans la plus totale informité. — dis donc Alice — dit Jacques en riant- on dirait que ça commence à t'amuser de faire des pâtés de plâtre... essaie quand même que ça ressemble un peu à quelque chose..... Il était drôle. Que ça ressemble à quelque chose ; mais à quoi cette séance digne d'une école maternelle pouvait elle bien nous mener ? Je redoublais de concentration, et tandis que peu à peu le plâtre  séchait, je continuais de gratter, de creuser, de modeler. J'entendais rire quelques filles, d'abord discrètes puis franchement. Je levais les yeux de ma toile et  les voyais, chacune absorbées par leur ouvrage, des traces de plâtre sur la figure et dans les cheveux. Nous avions oublié un moment nos statuts d'adultes, de femmes parfois désœuvrées et souvent névrosées. Jaques passait dans les rangs, promenant son gros ventre et son rire communicatif. J'ai longtemps gardé ce carton au mur de mon petit atelier, il est resté pour moi le symbole du bonheur que j'éprouvais durant ces trois heures de cours par semaine.

Jacques discutait toujours dans le couloir, et nous l'entendions rire, de la bonne blague qu'il allait nous faire.
Il entra dans la salle de cours accompagné d'un homme jeune, qui n'était déjà plus tout à fait un jeune homme. Ces deux làavaient l'air de bien se connaitre.

— Mesdames, aujourd'hui nous avons la chance de compter parmi nous Bertrand qui a accepté de poser gratuitement pour nous. Bertrand est un de mes anciens élevés, et il a aussi été modèle professionnel il y a.... Ça fait combien de temps Bertrand que tu as posé pour la dernière fois ?
— euh. Une petite dizaine d'années, je crois... mais j'ai surtout posé en académie, pour payer mes cours de dessin il y a vingt ans...
— et à l'époque, tu prenais combien pour deux heures ?
— 80 francs, je crois, plus le trajet.
— Bon mesdames, avec l'inflation, j'espère que vous apprécierez le cadeau, le prix n'a pas beaucoup changé, mais c'est des euros. Tu peux aller te préparer derrière le paravent Bertrand, nous allons redisposer la salle. Dis-moi si tu as froid, j'ai un petit radiateur d'appoint dans mon bazar. J'espère qu'il marche encore.

Bertrand disparut un instant, le temps de se déshabiller. Ma voisine de gauche avait  sorti ses crayons qu'elle taillait avec un soin attentif, même ceux dont la pointe n'aurait supposé le moindre reproche. Celle de droite, une nouvelle dans le cours, avec des pinces à dessin, attachait une grande feuille de papier à un support en bois. Les autres s'affairaient, tentant comme elles pouvaient de cacher leur impatience de revoir Bertrand. Il faut dire, que tout habillé il était déjà un bel homme. Non pas simplement un joli garçon ou une glabre sculpture vivante, mais un mâle, avec toutes ses hormones, pourvu de tous les fantasmes que nous projetions sur lui.
Jacques nous demanda de nous disposer  en arc de cercle autour de la petite estrade destinée à accueillir le modèle. Le déménagement sembla durer une éternité, dans un vacarme de tables que l'on pousse, de chaises que l'on traine, de bavardages et de gloussements.

— c'est bon, Bertrand ? Si tu es prêt, tu peux nous rejoindre.

ouvrant le paravent il apparut souriant de ses yeux et de ses dents, naturellement nu, dans son corps d'amant, dans son corps de mari qui n'est pas le notre.


— C'est vrai qu'il fait pas chaud ici — dit Bertrand, — Jacques, tu peux allumer le radiateur. Ou dans deux heures j'aurais pris froid.

Il évoluait parfaitement à l'aise, sans exhibitionnisme, mais avec l'assurance de celui qui se moque du regard que l'on pose sur lui. Il savait qu'il tenait la route, mais son aisance ne lui conférait pas la moindre arrogance, juste la sensation d'être bien dans sa nudité.

Nous avions déjà eu quelques modèles masculins, recrutés pour la plupart dans le cours de danse du mercredi. C’était généralement de très jeunes hommes, à la musculature sèche et aux membres longs, sans un poil sur le corps ou sur le visage. J'aimais  les dessiner, attentive à la lumière qu'ils accrochaient, recherchant les contrastes, soucieuse de restituer la finesse du grain de leur peau, la douceur de leurs lignes. Ces moments étaient d'intenses batailles avec mon regard. Il me fallait lutter contre ce que mon esprit construisait, pour me contenter  de ne rendre sur la feuille que le reflet de l'image devant moi. L'émotion était toujours artistique, et je passais finalement peu de temps à observer le modèle. quand je rentrais chez moi, étalant mes croquis sur le sol, je me rendais compte, que sans le vouloir vraiment, la plupart de mes esquisses n'étaient que de simples reproductions de corps sans visage défini et sans sexe. Ils étaient  esthétiquement parfaits, mais j'aurais été incapable après un cours, d'en croiser un et de le reconnaitre. Tous mes dessins d'académie masculine se ressemblaient. Ils se distingaient  dans le temps par la maitrise accrue de mon geste et de mon regard.

Pour Bertrand, je sentais que la séance serait différente des précédentes et que je n'étais pas seule parmi toutes ces femmes à éprouver cette sensation.

— Bien, mesdames, aujourd'hui nous allons travailler sur la silhouette et les proportions. On évite de rechercher la ressemblance au niveau du visage, l'important c'est de transcrire l'harmonie et l'aplomb de la silhouette. Vous avez la chance d'avoir un vrai mâle comme modèle aujourd'hui, alors ce que je veux voir dans vos œuvres, c'est la masculinité du monsieur.
Madeleine, une jeune retraitée, installée derrière mois, de sa petite voix douce demanda :

 — on est obligé de tout dessiner à part les traits du visage ?

Andrée râlait pendant ce temps dans son coin et maugréait :

— J'aime pas les modèles hommes, avec leur machin qui pendouille, c'est moche. Je préfère les femmes, au moins, quand elles serrent les jambes on ne voit rien.

Jacques éclata de rire.

— Vous dessinez ce que vous voulez, ou ce que vous pouvez. Chaque pose ne doit durer que dix minutes avec deux minutes entre chaque, sauf si Bertrand est d'accord pour enchainer. Allez on démarre, vous verrez, dix minutes c'est vraiment court. Si tu veux, Andrée, tu peux te retourner, je te ferai signe pour les séances de dos. Allez, à toi Bertrand, tu veux que je t'indique les poses ou tu préfères faire comme tu sens ?

— Ça ira, répondit le modèle.

Bertrand commença par un profil, une jambe à peine fléchie, les épaules en arrière. C'était vraiment un bel homme, dans la quarantaine, un peu plus peut-être. Parfaitement proportionné, son ventre était plat sans pour autant être sculpté par la fréquentation de la salle de gym. Sa poitrine puissante était recouverte d'une légère toison grisonnante. Ses cuisses à la musculature dessinée donnaient à sa silhouette un aplomb solide. Planté sur le sol, il me faisait penser à un arbre. Nous avions toutes remarqué la partie centrale de son anatomie. Son sexe sombre et lourd reposait tranquillement entre ses cuisses. On sentait une tonicité naturelle que traduisait la tenue de son membre, qui était loin de pendouiller sans pour autant paraitre agressif ou obscène. Je n'avais pas encore pris en main mon bout de fusain, je regardais Bertrand, détaillant chacune de ses cicatrices, revenant sans cesse sur son sexe que je trouvais merveilleusement proportionné. J'aurais voulu ne dessiner que cette partie de son anatomie. Posé sur ses deux jambes, il donnait une telle impression de solidité que je l'imaginais me porter contre son ventre tendu. C'était la première fois que je me sentais éprouver un pur désir sensuel face à un modèle. D'habitude, je suis plutôt analytique. Le corps humain est un défi que je relève par la prise de cotes systématiques. Je trace des lignes, des cubes, des ovales et me rapproche ainsi de mon sujet, le réduisant toujours à un ensemble de formes qui doivent se conjuguer pour s'harmoniser. Là, je ne pouvais pas. Mon regard était comme aimanté par ses jambes, ses fesses et son sexe.

Jacques passait derrière nous et je n'avais pas vu le temps s'écouler. Le délai de la première pose était presque achevé quand je sentis la présence du professeursur ma nuque. Se penchant vers moi, il me glissa discrètement à l'oreille : — « alors Alice, tu manques d'inspiration ? » Ma feuille était encore blanche. Les mots presque chuchotés par Jacques me ramenèrent brutalement à la réalité. Je me hâtais rougissante de griffonner quelque chose, mais je n'étais pas suffisamment concentrée pour restituer autre chose que de vagues gribouillis.

La séance  se poursuivit, Bertrand enchainant les poses académiques sans donner l'impression de se fatiguer. Le cours était silencieux, presque religieux, seulement ponctué des remarques de Jacques. Il ne revint pas vers moi  les deux heures que dura le cours. J'avais réussi à rassembler mon attention et m'abstraire des images érotiques qui se formaient devant mes yeux à chaque nouvelle figure qu'exécutait Bertrand. Les croquis que je détachais avec rapidité de mon carnet s’accumulaient  à mes pieds. 


Le désordre des feuilles me gênait, je m'interrompais un instant pour faire un peu de rangement. La jeune femme installée à ma gauche avait posé son crayon et observait ma production. Je savais qu'elle s'appelait Claire. Jacques nous appelait toujours par nos prénoms, mais je n'avais jamais eu l'occasion de lui adresser la parole. C'était une jolie blonde bien en chair d'une quarantaine d'années. Elle s'était inscrite au cours de dessin en cours d'année. Elle manquait de pratique et de rigueur, mais progressait rapidement. J'avais eu l'occasion de voir quelques-unes de ces réalisations, qui étaient toujours très personnelles et marquées par l'abstraction. La semaine dernière, alors que nous devions interpréter une nature morte, une cafetière à côté d'une citrouille, sur un drap blanc, elle avait magistralement restitué le sujet par des aplats de couleurs très éloignées de la réalité. J'aimais bien ce qu'elle faisait. Alors que je m'attachais à la ressemblance, elle semblait s'en ficher éperdument, mais ce qu'elle faisait était toujours émouvant et plein de vitalité.

— vous avez fait beaucoup de croquis, me dit-elle.
— J'ai du mal à trouver la ligne.
— On dirait que le sujet vous a inspiré, ce que vous avez fait est vraiment superbe.
— C'est trop gentil, vous êtes une flatteuse.
— Non, c'est sincère, j'aime bien. Ça donne une impression de chaleur, un peu comme une caresse.

Je ne m'attendais pas à cette remarque. Ne sachant quoi répondre, je classais mes croquis.

— Et vous me faites voir ce que vous avez fait ?
— Si vous voulez.

Elle me tendit son carnet que je feuilletais d'abord par politesse, puis avec un réel intérêt.

— Vous aussi vous avez été inspirée. Vous en avez fait un touareg naturiste.
— Je sais pas, ça m'est venu comme ça.
— Tu sais... on peut se tutoyer peut-être, ce sera plus simple.
— Bien sur.
— Tu sais, quand je regarde tes croquis aquarellés, ça me rappelle l'exposition de Titouan Lamazou sur les femmes. C'était au Trocadéro, je crois.
— Oui, je m'en souviens, j'y ai été avec ma fille.... elle avait fait un dessin qu'il lui a dédicacé... elle était heureuse comme tout, elle a montré son dessin signé par Lamazou à tout le monde...
— Eh bien, je ne sais pas si ça t'a fait la même chose, mais chaque dessin, le regard de chaque femme... et bien, je me suis dit, lui, il aime vraiment les femmes.
— Tu m'étonnes.... je me suis fait la même remarque... j'ai pas osé lui demander de me dédicacer son livre, il y avait trop de monde...
— Quand je regarde tes croquis, ça me fait un peu la même impression... c'est une bonne idée, les applications de gouache mélangées à l'aquarelle... ça donne de la matière...

Claire éclata de rire pour dissimuler sa gêne et reprit.

— euh, il est quand même pas mal, le mec. Pas forcément à mon gout. Mais y a pas grand-chose à jeter. Si tu vois ce que je veux dire.
— Moi je dirai pas ça... pour une fois qu'on a pas un minet... j'en ferai bien mon quatre heures... et puis mon diner aussi pourquoi pas.

Nous riions comme deux gamines. Le cours était achevé, Bertrand, le modèle était retourné se rhabiller derrière le paravent. Jacques était en grande discussion avec Andrée, qui s'était contentée de travailler le visage du modèle. Le cours se vidait peu à peu, les élèves s'éclipsaient par groupes avec plus ou moins de discrétion.

Je regardais par la fenêtre, il faisait déjà sombre et une pluie fine commençait à tomber.

— Pfff, on n'est même pas en octobre, et on se croirait déjà en hiver.

— oui, répondit Claire, je crois bien qu'on est entrées dans le tunnel... encore 7 mois avant de voir le soleil et de remettre une jupe.

— Il parait que demain on aura tout de même une belle journée. Je me ferai bien la dernière terrasse de l'année, ça te dit ?

— Demain soir si tu veux, les enfants s'occupent de leur père ce weekend et il passe demain à onze heures.

— Toi aussi tu fais partie du gang ?

Alice me regarda interrogative.

— Le gang quoi, la tribu des divorcées.

— Oui, c'est tout neuf. Ça fait juste depuis la fin des vacances qu'on s'est mis d'accord sur les tours de garde et de visite. Demain, ce sera la deuxième fois. Toi aussi, tu es divorcée, tu as des enfants ?

— Moi aussi, en quelque sorte.... mais non, je n'ai pas d'enfants.

— Bon alors, demain on est libre... on va pouvoir faire les folles et parler du modèle. Il est ou celui-là au juste.

— Je crois qu'il n'est plus la, je ne l'ai pas vu partir. Discret le bonhomme.

— Tu crois qu'il est divorcé lui aussi.

— Je suis sur qu'il est marié, ou pire.... non, mais j'ai fait mon deuil.

Nous échangeames nos numéros de téléphone, nous promettant de nous appeler le lendemain en fin d'après-midi. Elle avait l'air  sympathique cette claire, j'aurais du lui parler plus tôt.



lundi 28 mai 2012

Paraître pour exister


Assis, à la terrasse de ce café, je me sens serein. Je goutte le calme et la tiédeur de cette matinée qui n’a pas encore commencé. J'aime la  Provence. Hier soir, je me suis couché tôt. Je ne fume plus, et j’ai réussi à ne plus boire à l’ivresse, même légère. Au réveil, je me sentais propre au dedans, plein d’une énergie que je ne me souviens pas avoir jamais eu. Aux premières lueurs de l'aube Je suis allé à pieds vers le centre du village. Je me sentais en paix, je n’avais plus peur de vieillir. Je ne pensais plus qu'au présent et aux possibles qui s'ouvraient à moi, comme quand j’étais l’adolescent au cheveux noirs et bouclés, qui posait pour sa première carte d’étudiant, regardant confiant l’avenir au travers de l’objectif, les yeux arrogants et posés comme un air de défi. Ce matin, j’étais ce jeune homme vert, à la peau douce, au visage sans mollesse.

 Le ciel est clair, le vent a chassé les nuages. La journée commence dans la douceur. Je regarde la rue animée par les artisans qui rejoignent leur chantier. Je tourne la cuillère dans ma tasse de café, ne sachant où la poser. Derrière son comptoir, le patron du bistrot, est occupé de mille taches dont j’ignore le sens. Un vieux, au visage chiffonné de trop de nicotine s'absorbe dans  la lecture de la rubrique hippique d’un journal qu’il a sorti de la poche intérieure de sa veste. Le temps passe sans but avec lenteur et je n’ai pas encore porté la tasse à mes lèvres. J’attends, et pourtant je sais que bientôt je me lèverai pour reprendre le chemin de ma location. On se croirait en Afrique, ou quelque part dans le sud de l’Espagne.

C’est à cet instant que je l’ai vue passer devant moi. Habillée court, chaussée de talons hauts, elle m’apparaissait dans la minceur triomphante de celles pour qui leur silhouette est le fruit de l’entreprise d’une vie. Elle marchait en roulant ses fesses, le regard fixé vers la boulangerie. Je me suis immédiatement senti attiré vers elle, ne pouvant détacher mes yeux de ce cul hypnotique. Elle n’était plus là mais j’avais son image encore devant les yeux. Qui donc était cette femme ? Il ne fallait vraiment pas être devin pour sentir dans son sillage la profondeur de ses blessures. J'étais amusé et attendri par cette poupée de cinquante ans, qui pour être certaine d’accrocher le regard des hommes avait du passer plus de deux heures à s’apprêter dans le silence de sa salle de bain afin de se présenter dans les atours les plus caricaturaux de la féminité, simplement pour aller chercher son pain.

Sa volonté de séduire à tous prix, la rendait émouvante. Je l’imaginais fragile et inquiète, passant probablement le plus clair de son temps à scruter les signes de l’âge qu’elle tentait  d’endiguer méthodiquement. Elle avait la chance d’avoir su garder la jeunesse de sa silhouette, conservant un corps fin et musclé qu’elle devait mettre en valeur pour que l’on oublie de regarder son visage qui, malgré sa science du maquillage ne pouvait plus faire impression. Dans l’excès de l’obsession de son apparence, elle en faisait trop. Vêtue comme une chasseuse, elle avançait d’une démarche étudiée, uniquement attentive aux regards qui se posaient sur elle. Je l’ai sentie blessée, comme une femme qui a pris la décision de se donner les moyens de refaire sa vie. Chez elle, la fêlure allait au-delà de la simple campagne de séduction. On sentait que son corps était le terrain d’un champ d’une bataille qui se livrait quotidiennement. Elle refusait, elle niait, elle luttait. Elle savait qu’il ne lui restait que peu de temps avant que les brèches qu’elle scrutait chaque jour ne soient trop visibles, les fuites toujours plus nombreuses. Elle craignait ce jour, refusant d’y penser, mais investissant dans sa lutte chaque instant de sa vie.  Cet instant arriverait toujours trop tôt. Vaincue par le temps, dans sa solitude désœuvrée elle n’aurait plus alors qu’à feuilleter ses souvenirs au hasard des albums de photos, se remémorant le temps où elle faisait encore  se retourner les hommes. Le temps où elle ne serait plus qu’une vieille au statut de beauté déchue durerait trop longtemps et arriverait toujours trop tôt.

Quand elle revint devant nous, arpentant la rue dans l’autre sens, le vieux leva la tête et l’observa sans discrétion, affichant un sourire gourmand. Ce vieux crabe, qui ne devait pas être beaucoup plus vieux que cette guerrière la considérait comme si elle lui devait quelque chose. Elle au moins se battait contre le temps, tandis que lui, avait depuis longtemps abandonné tout espoir de paraitre. Il avait parlé suffisamment fort et elle était assez proche pour avoir entendu sa parole crue. Elle avançait toujours roulant des hanches, et dansant sur ses escarpins, sans tourner la tête, fière d’être là dans la couleur de sa séduction outrageuse. Elle savait qu’au moins un regard ne se détachait pas de ses fesses. Elle se sentait inaccessible, excitée par le fait qu’elle nourrirait les fantasmes de ce vieux bonhomme. Moi, je la suivais des yeux, sous le regard complice de mon voisin. Dans la rue un volet s’ouvrait. Une vieille dame, en peignoir arrosait ses géraniums.

J’aurais voulu la suivre, juste pour savoir et aussi m’imprégner de son hallucinante démarche de danseuse. J’aurais voulu lui parler, tenter d’attirer son attention. Mais je savais bien que ce genre de femme ne se nourrit que de la jeunesse. Je payais mon café, et repartais, sous le soleil déjà haut qui m’écrasait la nuque. Je me sentais vieux. Bien loin du jeune homme aux cheveux bruns et bouclés qu’elle aurait tant désiré à présent, qu’elle n’aurait pas remarqué dans sa jeunesse car bien trop vert pour elle.

jeudi 3 mai 2012

Tu veux jouer ?


Sourcils froncés, les yeux fixés sur la bouteille d’eau pétillante elle m’annonça soudain :

-          Je suis mariée

-          Moi aussi – lui répondis-je en lui tendant mon briquet allumé.

Fouillant son sac à main, elle en sortit une fine cigarette qu’elle porta aussitôt à ses lèvres, se pencha légèrement et posant un instant ses deux mains en coupe autour de la flamme, fit rougir le bout qui d’inerte devint incandescent.

Silencieuse, elle reprit l’observation attentive de la bouteille d’eau tandis que je posais mon briquet sur la table, soigneusement aligné avec le bord.

-          Vous ne fumez pas ?

-          Non, j’ai arrêté.

-          Ça ne vous dérange pas ?

-          Ça a l’air de vous faire du bien.

-          Vous ne fumez pas et vous avez un briquet sur vous ?

-          J’aime bien le geste de donner du feu … aux femmes uniquement. Je vous ai regardé au moment où vous allumiez votre cigarette, si concentrée, plus rien ne semblait compter, jusqu’au moment où est apparue la fumée.

Elle reprit une bouffée qu’elle inhala longuement et rajusta une mèche de cheveux imaginaire, la replaçant derrière son oreille.

-          Je ne sais vraiment pas ce qui m’a pris d’accepter votre invitation… et vous me regardez la, sans presque rien dire… je me sens gênée… je me demande vraiment ce que je fais la ?

-          Je vous ai juste proposé de partager un verre avec moi… mais je ne pensais pas que vous accepteriez… juste je me suis dit, parce que j’aimais votre silhouette que je me sentirais mieux en vous parlant qu’en regrettant de ne pas avoir osé vous aborder, même si vous ne me répondiez pas.

-          Et maintenant ?

-          On boit un verre, vous fumez une cigarette, il fait doux et moi je suis heureux de passer un moment en votre compagnie.

-          Vous ne me connaissez même pas.

-          Je sais que vous êtes mariée.

-          C’est moi qui viens de vous le dire et vous aussi d’ailleurs. Elle le sait votre femme que vous offrez des verres à des inconnues dans le parc du Luxembourg ?

-          Non, mais elle n’est pas là, et ce n’est pas moi qui lui dirait que des inconnues acceptent les verres que je leur offre.

Je m’attendais à une réponse, mais elle se contenta de hocher la tête tout en riant brièvement comme on souffle dans son nez.

Elle avait déjà repris une cigarette, la tenant de deux doigts entre ses lèvres. De nouveau, je lui offrais la flamme de mon briquet. De nouveau, elle faisait une coupe de ses mains, mais sans éviter cette fois, le contact avec mes doigts.

Se reculant de la table, elle se cala au fond de sa chaise et m’observa. Nous ne parlions plus depuis une vingtaine de secondes et sous son regard silencieux qui me détaillait, je me sentais embarrassé.

Tendant la main, elle prit mon briquet et jouant avec, l’examina avec minutie.

-          C’est un bel objet, il est lourd.

-          Je l’ai avec moi depuis toujours, enfin, depuis longtemps.

-          Combien en avez-vous allumé avec ?

-          De quoi ?

-          Depuis que tu as arrêté de fumer.

-          Je ne sais pas, je ne tiens pas ce genre de comptes.

Son regard me souriait, ironique, indépendant de ses lèvres qui continuaient de fumer.

-          Je vais le prendre avec moi. Tu me donnes ton numéro, celui de chez toi, le fixe et ton portable aussi. Je te le rendrai la prochaine fois que nous nous verrons. Mais c’est moi qui rappellerai et sur le numéro que je veux, quand je veux. Alors, tu veux jouer ?

Sortant de son sac un magnifique stylo mont blanc, elle nota mes numéros au dos du ticket que le serveur nous avait apporté dans une soucoupe en plastique vert avec nos consommations.

-          Je ne te laisse pas écrire, je ne voudrais pas que tu prennes un otage.

Apres avoir rangé le bout de papier et le stylo, elle se leva et alluma une autre cigarette avec mon briquet.

-          Bon, bien, à bientôt, peut être… me dit-elle en m’adressant un sourire franc. Puis elle se retourna et s’éloigna.

Je restais assis quelques instants, la regardant partir. Avant qu’elle ne disparaisse, par effet de contre-jour, je vis son corps se découper nettement sous sa longue robe blanche.

Sortant mon paquet de cigarettes, je regardais autour de moi cherchant du feu. Personne ne fumait.


mercredi 2 mai 2012

INSTANTANES

Premiers mots,



Ça, c'est dans le train qui nous conduisait à Marseille. Nous ne nous connaissions pas encore. J’avais remarqué cette fille qui sur le quai m’observait. C'est elle qui m'a adressé la parole en premier. Sa tête me disait bien quelque chose, mais je ne la remettais pas. Je ne me souviens plus des premiers mots que nous avons échangés.   Le train était bondé et nous n'avions pas trouvé de places où nous assoir. Debout sur la plateforme, nous nous sommes racontés ; elle souriait tout le temps, faisant comme si elle me trouvait passionnant ; moi, je faisais la roue....Elle a voulu me montrer , un petit reflex argentique autofocus, que son père lui avait offert pour son anniversaire et dont elle était très fière, en le manipulant elle a photographié la porte des toilettes. Le flash s'est déclenché automatiquement..... L'image est remarquablement nette.

Quand à Vienne, le Wagon a commencé à se vider, nous nous sommes installés, côte à côte....Elle me parlait, de sa vie, de ses parents, de ses études....Nous fréquentions la même école. Elle entamait sa première année, moi ma troisième. Je me souviens juste de ses yeux qui brillaient et des reflets roux qui courraient sur le Rhône ce matin de décembre entre neige et soleil.



* * *

Neige de février



Ça, c'est une drôle de photo toute floue. La neige tombait à gros flocons. C’était la nuit. Nous avions fait l'amour pendant des heures, probablement plusieurs fois de suite.

C'est elle qui m'a réveillé pour que je voie tomber la neige. Je me souviens m'être dit que c'était un peu idiot... La neige à Lyon en février, ça ne me semblait pas un spectacle inhabituel.

Toute nue, elle regardait la neige qui recouvrait le jardin en contrebas en me disant c'est beau non ? Moi j'étais derrière son dos, et je regardais ses petites fesses qui reflétaient la lumière jaune des lampadaires de la rue. J'ai saisi l'appareil posé sur la table du salon. C’est à cet instant qu'elle s'est retournée pour me sourire. Je n'ai pas interrompu mon geste, et j'ai pris la neige à travers la fenêtre. Elle s'est mise à genoux pour me prendre dans sa bouche. Pour elle, c’était une première fois. Elle voulait me faire plaisir,  mais s'y prenait maladroitement. J’étais ému. Nous avons encore une fois fait l'amour....

La photo est ratée et le labo ne nous l'a pas facturée, si l'on regarde attentivement, encore faut-il le savoir, on distingue vaguement le reflet de son dos..

* * *

Premières vacances à Biarritz


Celle-ci c'est mon frère qui l'a prise. On est au début de l'été sur la promenade qui longe la plage de Biarritz. Le ciel est bleu lumineux. Je me souviens de l'odeur des frites et de l'ambre solaire qui évoquait le temps des vacances. Les couleurs de la photo sont chaudes et saturées.
Le vent rabat ses cheveux vers l'avant, couvrant une partie de son visage. Elle ne pose pas et rit de toutes ses dents.
Nous nous étions baignés, l'eau était encore un peu fraiche. Elle porte une jupe rouge légère qui lui arrive un peu au-dessus des genoux. Prétextant que l'eau était très salée et qu'elle avait oublié emporter de quoi se changer, elle était restée nue sous ses vêtements.
Elle est restée toute la journée dans la même tenue.
C’est la semaine ou elle a commencé à se lacher vraiment.

* * *

Le collier de perles


C'est l'hiver, toujours à Biarritz. Le regard buté et la lèvre tremblante, elle ne veut pas me parler.
 Mes parents nous ont invités au restaurant. À la fin du repas, ma mère remarque qu'elle porte le collier en perles que je lui ai offert deux mois plus tôt. C'est à cet instant qu'elle découvre mon mensonge... le premier... en le lui offrant, je lui avais fait croire que je l'avais acheté lors d'une vente aux enchères. Ma mère lui apprend qu'il s'agit du collier de ma grand-mère. Ma mère parle toujours trop. J’aurais voulu qu'elle se taise. J’aurais voulu être ailleurs. Le choc est d'autant plus rude que le cadeau l’avait surprise.
Elle apprendra un an plus tard que ce n’était même pas de vraies perl
* * *

Festival d'Avignon



Photo de groupe, quelques mois plus tard. Un stage de théâtre à Avignon. Nous assistions à une ou deux représentations par jour et avions droit à l'explication de texte détaillée de l'artiste. Nous ne nous connaissions pas auparavant et ne sommes jamais revus depuis. Je ne parviens pas à mettre un nom ou un prénom sur le moindre visage.
Le cliché a été pris à la terrasse d'un café proche du palais des papes. Nous sommes côte à côte, sans tout à fait me tourner le dos, elle ne semble pas me prêter attention. Elle a sympathisé avec un garçon qui ressemble à un moniteur de ski ou de planche à voile. Il est grand, blond, les yeux clairs, l'allure assurée des hommes que les femmes recherchent ; j'ai l'air d'un môme à ses côtés.
Elle lui propose de venir nous voir à Lyon et insiste pour qu'il note le numéro de téléphone. Je sais que si elle le revoit, ce ne sera pas pour parler théâtre... Nous n'avons jamais évoqué cet épisode par la suite. Je ne suis pas certain qu'elle aurait souhaité m'associer à la réalisation de son fantasme.

* * *

Nouvel An dans le Jura



Sur celle-ci, on la voit, en train de danser. Nous sommes dans un gite dans le Jura et fêtons le Nouvel An avec un groupe d'étudiants que nous connaissons depuis quelques semaines seulement et ne reverrons jamais.
La musique est forte... tout le monde a déjà beaucoup bu. La pièce est enfumée, nous ne pouvons pas ouvrir les fenêtres, dehors il fait -20° ou moins encore.
Je la savais opposée à toute consommation de stupéfiant, mais ce soir-là, elle s'est servi une énorme part de space cake et peut être un cachet d'ectazy également.
Elle est devenue très câline, m'a attiré dans un coin un peu à l'écart, m'a pris la main, dégrafant elle-même un bouton de son jean pour dégager sa taille et m'a demandé de la caresser jusqu'à l'orgasme. Elle me regardait droit dans les yeux, tandis que ma main s'activait... je l'ai sentie se détendre comme un ressort cassé. Elle venait de jouir. Après cela, elle est partie danser, puis je l'ai perdue de vue pendant une heure ou deux jusqu'au moment où elle est venue me chercher, pour que je lui fasse l'amour sous la douche. Son sexe était humide au point que je me demande encore si je n'ai pas confondu son excitation intime avec le sperme d'un autre.
Un mois plus tard, nous étions séparés. Il me semble que c'est à cette occasion que nous avons fait l'amour pour la dernière fois.

* * *
Nuit de féria à Nîmes
Là, c'est moi de nuit, le crâne rasé, l'œil sombre, marchant dans les rues de Nîmes en pleine feria. Je suis militaire, à l'époque on disait bidasse.
Nous sommes séparés depuis plusieurs mois. Nous n'avons plus que quelques rares contacts téléphoniques.
Je sais qu'elle vit à présent dans cette ville.
J'ai l'air préoccupé et sérieux..., je me souviens que j'étais en fait à la fois triste que notre histoire soit terminée et inquiet de la rencontrer accompagnée d'un autre, qui serait forcément plus grand et plus beau que moi.
Mon ami, qui m'a invité se moque de moi.... La rue est en fête. Tout le monde rit et danse autour de nous, tandis que nous marchons en parlant du sens de la vie.
* * *

En revenant de Nîmes, un matin.....


Dans cette photo, prise d'un radar routier, à l'entrée de Nîmes, on me voit seul au volant de ma voiture. Je suis pressé d'arriver à destination.

Elle m'avait invité à venir lui rendre visite dans son deux pièces à Nîmes, pour diner.

Je n'étais plus militaire et nous ne nous étions pas revus depuis une année.

Elle m’attendait chez elle. Je suis venu les mains dans les poches, sans une bouteille ni même un bouquet de fleurs. Elle semblait heureuse de me revoir, me gratifiant de son sourire magnifique.

Tous deux assis à même le tapis de son salon, je l'écoutais me parler de son travail, de sa vie, de sa mère. Le téléphone a sonné. Elle a décroché, j'ai compris qu'elle parlait à son nouvel amoureux. Adossée à un mur, ses talons posés à plat, elle lissait sa jupe et la rajustait en me regardant sans cesser de parler. Elle a légèrement entrouvert ses genoux d'un geste faussement involontaire, me dévoilant un court instant une tache blanche entre ses cuisses.

Après qu'elle ait raccroché sur un mot tendre chargé de promesses érotiques, nous avons repris notre discussion. Il faisait chaud ce soir-là, mais la température était supportable. Elle s'est levée d'un geste nerveux, me déclarant que son string la grattait et lui rentrait dans les fesses, l'a retiré rapidement en me tournant le dos. Sagement installée sur son canapé en toile, elle est nue sous sa jupe.  J'aurais dû l'embrasser, me jeter sur elle, la prendre, sans même la déshabiller, ramper sous elle pour la dévorer. Mais ce soir, je suis resté assis sur son tapis carré... j'ai continué à parler et à boire ; à parler encore et à boire aussi.

Nous avons dormi ensemble. Je n'étais de toute façon pas en état de reprendre la route. Allongée, dos contre mon ventre dans son lit, elle était nue. J'étais saoul et m'en voulais de ne pas avoir su réfréner ma pulsion alcoolique. Comprenant qu'il ne pouvait désormais plus y avoir que de la tendresse entre nous, elle s’est saisi de  ma main droite afin de couvrir son sein gauche et s'est rapidement endormie.







* * *



Photo sur le net




Je ne l'ai plus jamais croisée. Récemment, en tapant son nom sur un moteur de recherche, j'ai vu son visage apparaitre sur une photo qui semblait avoir été scannée à partir d'une pièce d'identité.

Près de trente ans plus tard, elle n’a pas changé. Elle est toujours aussi souriante et ne fait pas son âge.

En revoyant cette image, me revenaient en mémoire les deux années que nous avions passées ensemble. Elle était toujours célibataire et vivait encore dans le sud. Je me suis demandé ce qu'il serait passé si je ne lui avais pas menti à propos du collier de perles. Peut-être aurions-nous prolongé notre histoire. Nous aurions certainement eu des enfants et la séparation n'en aurait été que plus douloureuse. Nous n'étions pas destinés à rester ensemble toute notre vie.

J'ai quelques remords, mais aucun regret. Je conserve un souvenir attendri de ma première histoire d’amour.



* * *



Elle n'a pas tout oublié





Ma mère est passée à la maison hier soir. Après quinze ans de célibat, elle a enfin décidé de refaire sa vie dans une autre ville avec son nouveau compagnon. C’est fou ce que l'on peut jeter quand on déménage. Je lui avais dit que je ne voulais pas qu'elle se débarrasse de quoi que ce soit qui m'appartient sans me le dire. Elle a tenu parole et m'a rapporté hier, une malle pleine de vêtements d'enfants et une surprise. La surprise c'est cette boite en carton qui déborde de vieux souvenirs que je suis en train d'effeuiller, seule, sur la table de mon salon.

Au fond de la boite, une enveloppe rose. Dans l'enveloppe, quelques photos de moi, encore adolescente. Mes sœurs et moi fêtant mes dix-huit ans, mon chat, mes premiers et derniers essais de photographie artistique. Puis retournée, parmi d'autres ; je suis sûr qu'elle a ouvert l'enveloppe, un cliché, ou je m’adonne au plaisir naturiste au bord d'une rivière par une claire journée d'été. Je suis debout, bien sûr toute nue, et la photo a été prise de surplomb. Mon corps est un peu déformé par la perspective plongeante. Je suis bronzée des pieds à la tête, sans la moindre marque de maillot de bain. J'avais encore mes petits seins, qui me complexaient tant, que je me suis fait refaire pour mes trente ans.

J'avais oublié l'existence de cette image, mais je me souviens de cette journée. Je ferme les yeux et elle revit en moi.

Nous avions décidé de nous baigner dans le Gardon. Ma sœur avait voulu nous accompagner avec son petit ami iranien. Lui nous conduisait, dans sa 504 décapotable rouge.

Il faisait très chaud, et nous voulions nous baigner. Il ne supportait pas la promiscuité et refusait toutes les plages que nous lui proposions, nous avons roulé, puis marché longtemps pour trouver un endroit qui ne soit pas envahi de familles.

Il était beau ce jour-là, très brun, ses cheveux bouclés flottaient au vent. Ses lunettes de soleil lui donnaient un air absent. J'avais envie de le toucher, de gouter sa peau que je devinais salée. Lui, conduisait, sans dire un mot le regard fixé sur la route.

C'est moi qui après notre baignade ai pris l'initiative de me débarrasser de mon slip de bain, pour bronzer toute nue. Il ne s'est pas fait prier longtemps et s'est lui aussi complètement dévêtu. Ma sœur était dans l'eau en compagnie de son invité. Visiblement gênés, ils n'osaient plus nous rejoindre.

Allongée sur le ventre, je somnolais, goutant l'odeur des pins, la douceur du soleil et le chant des cigales. Je me sentais bien dans mon corps, j'ai senti sa main huilée d'abord se poser sur mon épaule puis investir le reste de mon corps. J'avais envie qu'il continue sa caresse, qu'il l'a précise et de ses doigts me fasse jouir maintenant.

Je me suis levée et d'un geste de la tête l'ai invitée à me suivre. Sous un arbre, je me suis assise face à lui, tournant le dos à la rivière. Écartant légèrement les genoux, je n'ai pas eu besoin de dire pour qu'il comprenne ce que je désirais. Je voulais me sentir fouillée, caressée, excitée... Je n'ai jamais retrouvé un homme qui sache aussi bien me faire jouir de ces doigts. Il m'a caressée, longuement, lentement, avec la précision  et la douceur d'une femme. Je le regardais dans les yeux et sentait son trouble alors que le plaisir rapidement montait de mon ventre d'abord par vagues, puis comme un flot continu. C'est à ce moment que sans cesser sa caresse, il s’est penché vers moi, me soufflant une parole obscène et souriante. J'ai senti mon sexe inondé de plaisir. Un petit cri m’a échappé... Je ne l'ai pas touché. Il n'a pas insisté. Il n'a jamais compris que j'attendais qu'il prenne sans attendre mon autorisation

C'est avec lui que je me suis affranchie du regard de ma mère. Un soir, j'ai eu l'impression que je faisais l'amour avec mon frère. Je n'ai plus supporté de voir son visage face à moi. Je me suis retournée, et m'imaginant avec un autre je me suis faite jouir sans attention pour son plaisir. Je savais que notre histoire était finie.  Je n'avais plus envie de lui. Il me fallait d'autres corps, d'autres odeurs, ressentir les émotions du début.

 Nous nous sommes quittés sans qu'il insiste pour me retenir. Il avait l’air triste des amants révoqués. Je ne l'admirais plus.

Nous nous sommes revus peu après notre séparation. Je voulais qu'il me prenne, qu'il me maltraite et me baise.... mais, il n'a rien compris et a passé toute la soirée à boire et à parler.

Je ne sais plus où il vit. Il a dû vieillir . Peut-être ses cheveux ont-ils blanchi. Peut-être  a-t-il pris du ventre ou perdu l’éclat de son regard. Je voudrais ne jamais le recroiser. Et puis quoi lui dire ?











jeudi 26 avril 2012

Le défi du prince


C'était encore l'époque des trains de nuit et des compartiments fermés à huit places assises. C’était aussi l'époque des permissions de fin de semaine, des wagons peuplés de militaires bruyants, bouillonnants de sève, de jeunesse et de rires.


À cette époque j'effectuais mon service militaire quelque part dans le sud de la France. Le printemps venait tout juste de commencer. C'est le moment de l'année que je préfère. Le soleil est encore doucement caressant, et les odeurs de la Provence sont si enivrantes après chaque averse qu'elles me font l'effet d'une amoureuse inconnue au réveil. C'est le moment où les femmes redeviennent jolies, où les tissus de leurs jupes se font plus légers tandis que les talons s'allongent et que les visages se couvrent d'un hale que je trouve sensuel. J'adore ce moment de l'année, où moi aussi je me réveille de l'hiver.

Le train roulait depuis près d'une heure en direction de Marseille, le soleil n'était pas encore très haut.

Seul, dans mon compartiment, plongé dans les réflexions porno-philosophiques du prince hospodar héréditaire Mony Vibescu,le rejeton caché d'apollinaire, je goutais le plaisir d'une première cigarette. Le train s'était arrêté pour une courte pause dans une des innombrables gares qui jalonnent la ligne du bord de mer. Les voyageurs cherchaient leur place. Discrètement, elle est entrée et s'est assise face à moi près de la fenêtre.

Le train du prince arrivait tout juste en gare à Paris. Je posais mon livre, la couverture en évidence et allumais une seconde cigarette. La jeune femme ne put s'empêcher d'y jeter un rapide  coup d'œil puis détournant son regard s'absorba dans la contemplation muette du défilement monotone des champs de vignes. Elle ne me laissait voir que son profil, et le temps de quelques bouffées de tabac je l'observais avec une indiscrète arrogance .

Elle paraissait âgée d’une trentaine d'années, presque dix ans de plus que moi à ce moment. Elle semblait faite d'une quantité de contrastes qui la rendaient à la fois distante et attirante à mes yeux.
Les traits de son visage osseux avaient la dureté de ceux d'une de mes anciennes professeur de latin le jour de la rentrée, mais la douceur de son regard  me la rendait si désirable, alors qu’elle était loin d'être simplement jolie.
Son corps mince était presque maigre. Elle portait une jupe faite d'un tissu clair et léger qui  lui couvrait sagement la moitié des genoux. Ses jambes fines et nerveuses s'allongeaient  de la cambrure qu'imprimaient une paire d'escarpins rouges à talons.

Sous son chemisier blanc, lâchement boutonné, je devinais une poitrine menue, que j’imaginais libre de tout sous vêtement.

Cette femme dégageait à la fois une expression d'austérité et de sensualité réservée qui, à cet instant, la rendait très attirante à mes yeux.

Je la détaillais ainsi depuis près d'une minute, sans me rendre compte de la grossièreté de mon insistance. Elle tourna vers moi son visage et posant de nouveau son regard vers la couverture de mon livre me dit :

— Vous vous sentiriez prêt à relever le défi du prince ?

Je ne m'attendais pas à une approche aussi directe de sa part.

— Euh... vingt fois de suite .... Je ne sais pas .....

Elle me fixait avec un joli sourire ironique.

— Vous savez, si finalement, le prince meurt de ne pas avoir su tenir sa promesse... c'est avant tout par idiotie de sa part et non par faiblesse ..... Bien sûr qu'aucun homme ne peut le faire vingt fois de suite.

Cette femme que je ne connaissais pas, et qui m'attirait terriblement m'entretenait des performances sexuelles d'un personnage littéraire. Je me sentais pris à défaut comme un petit garçon que l'on a surpris au mauvais moment.

— C'est un procédé littéraire.

— Ah bon, et lequel ? Moi, je vous dis qu'il est mort de ne pas avoir été assez malin... La testostérone ne conforte pas l’intelligence.

— Je ne vois pas le rapport.

— Vous aussi vous devriez réfléchir un peu.

— Je n'ai encore rien parié.

— Vingt fois de suite, il s'était engagé à prouver sa passion à la même femme.

En disant cela, elle se tourna à nouveau vers le paysage.

— Vous allez jusqu'où ?

— Marmande...

— Moi je descends à Agen.

Elle avait posé un de ses pieds sur la corniche de sorte qu'une jambe se trouvait à présent légèrement surélevée par rapport à l'autre qui reposait à plat sur la banquette. Cette posture, involontaire en apparence  avait remonté un peu sa jupe, dévoilant l'intérieur d'une de ses cuisses.



— Il y a tant de manières .... Tant de manières 



Répéta-t-elle, sans me regarder ?   Elle me tendit la main à ce moment, je l'attrapais pour tenter un baiser. Mais ce n'était pas cela qu'elle désirait. Elle saisit mon poignet, m'attirant vers elle pour poser ma main contre sa cuisse doucement dévoilée.



— Il y a tant de manières différentes..... Mais si vous ne retirez pas votre main, je considèrerai que vous aurez accepté le pari du prince. Il ne vous reste que six heures pour l'accomplir.... au mieux, si nous restons seuls dans ce compartiment.

Elle se leva et tira les rideaux, nous isolant des regards du couloir.

Trente ans ont passé aujourd'hui. À chaque début de printemps, je me demande quelle forme prendra pour moi le châtiment des onze mille verges....