Lecture - Ecriture - Tenter... corriger... retenter... recorriger... refaire... Toute réaction est bienvenue, surtout dans cet exercice délicieux mais très solitaire que constitue le grifonnage de clavier.
jeudi 30 août 2012
dimanche 24 juin 2012
Et peu a peu, on n'aime plus (Partie 1)
Son mari l’a quittée pour une femme plus jeune, plus fraiche et peut-être plus sexy qu’elle. Il l’a quittée parce qu’une autre est venue vers lui. Alors, il s’est laissé griser par l’aventure qui lui était offerte il pouvait ressentir à nouveau l’excitation du début mais aussi l’orgueil d’être encore un objet de désir.. Cette histoire, à condition de rester secrète, aurait pu rester sans lendemain et chacun y aurait trouvé son compte.
lundi 11 juin 2012
La leçon de dessin
Point de vue d'Alice
Chapitre 1 — La rencontre
Cours de dessin
J'ai toujours adoré cet instant de calme, juste avant que ne
commence le cours de dessin. Le professeur n'était pas encore arrivé, mais nous
l'entendions discuter dans le couloir. Je me demandais quel serait le sujet de
la séance d'aujourd'hui. C'est un peu comme une pochette surprise, il aime nous
surprendre et nous guider là où nous ne nous attendons pas à aller, loin de
notre confort, tant artistique qu'intellectuel. J'avoue qu'au-delà de la simple
gageüre technique que parfois il nous impose, j'ai quelquefois été mal à l'aise
avec ses sujets imposés. Dessiner un lapin mort, ou un couple enlacé de
vieilles personnes sont des expériences que j'ai abordées avec une angoisse
certaine. Mais il est comme ça le Jacques. Il nous répète souvent que ce n'est
pas chez lui que nous apprendrons à refaire la photo du chien, ou celle des
petits chatons dans leur panier. Une fois, pour rire, il nous a distribué un
calendrier de la poste. En nous disant : « alors, les mémés, vous
allez être contentes pour une fois, ça ne va pas vous remuer les tripes.... ah
ah ah ». Nous nous regardions interrogatives, nous doutant qu'il n'en
resterait pas là. En effet, et je m'y attendais, il était content de sa bonne
blague. Il nous distribua à chacune un pot de gesso et un pinceau de bâtiment,
nous demandant de barbouiller de plâtre liquide les calendriers, en formant des
épaisseurs irrégulières sur le support. Nous nous attachions à suivre
scrupuleusement ses instructions, rectifiant nos œuvres selon ses indications
et ses remarques. Au bout d'un quart d'heure, nous avions terminé. Il nous demanda,
tandis que l'apprêt était encore humide de dessiner avec nos doigts le bout de
nos phalanges, le tranchant de nos mains, de creuser le blanc, de le salir, de
lui donner une forme. Nous sommes toutes, bien obéissantes, et si cet exercice
nous donnait l'impression de revenir en enfance, nous détruisions de nos mains
ce que nous avions sagement appliqué à coups de pinceau bien léchés. Jacques
passait derrière nous et en demandait toujours un peu plus.... selon lui nos
toiles étaient bien trop sages, il voulait que nous y alliions carrément, nous
confisquait les outils pour nous contraindre à prélever la matière directement
dans le pot avec nos doigts. Mon carton dégoulinait de plâtre, et là où j'avais
formé des structures de matière, tout s'effondrait dans la plus totale
informité. — dis donc Alice — dit Jacques en riant- on dirait que ça commence à
t'amuser de faire des pâtés de plâtre... essaie quand même que ça ressemble un
peu à quelque chose..... Il était drôle. Que ça ressemble à quelque chose ;
mais à quoi cette séance digne d'une école maternelle pouvait elle bien nous
mener ? Je redoublais de concentration, et tandis que peu à peu le plâtre séchait, je continuais de gratter, de creuser,
de modeler. J'entendais rire quelques filles, d'abord discrètes puis
franchement. Je levais les yeux de ma toile et les voyais, chacune absorbées par leur
ouvrage, des traces de plâtre sur la figure et dans les cheveux. Nous avions
oublié un moment nos statuts d'adultes, de femmes parfois désœuvrées et souvent
névrosées. Jaques passait dans les rangs, promenant son gros ventre et son rire
communicatif. J'ai longtemps gardé ce carton au mur de mon petit atelier, il
est resté pour moi le symbole du bonheur que j'éprouvais durant ces trois
heures de cours par semaine.
Jacques discutait toujours dans le couloir, et nous
l'entendions rire, de la bonne blague qu'il allait nous faire.
Il entra dans la salle de cours accompagné d'un homme jeune,
qui n'était déjà plus tout à fait un jeune homme. Ces deux làavaient l'air de
bien se connaitre.
— Mesdames, aujourd'hui nous avons la chance de compter
parmi nous Bertrand qui a accepté de poser gratuitement pour nous. Bertrand est
un de mes anciens élevés, et il a aussi été modèle professionnel il y a.... Ça
fait combien de temps Bertrand que tu as posé pour la dernière fois ?
— euh. Une petite dizaine d'années, je crois... mais j'ai
surtout posé en académie, pour payer mes cours de dessin il y a vingt ans...
— et à l'époque, tu prenais combien pour deux heures ?
— 80 francs, je crois, plus le trajet.
— Bon mesdames, avec l'inflation, j'espère que vous
apprécierez le cadeau, le prix n'a pas beaucoup changé, mais c'est des euros.
Tu peux aller te préparer derrière le paravent Bertrand, nous allons redisposer
la salle. Dis-moi si tu as froid, j'ai un petit radiateur d'appoint dans mon
bazar. J'espère qu'il marche encore.
Bertrand disparut un instant, le temps de se déshabiller. Ma
voisine de gauche avait sorti ses
crayons qu'elle taillait avec un soin attentif, même ceux dont la pointe
n'aurait supposé le moindre reproche. Celle de droite, une nouvelle dans le
cours, avec des pinces à dessin, attachait une grande feuille de papier à un
support en bois. Les autres s'affairaient, tentant comme elles pouvaient de
cacher leur impatience de revoir Bertrand. Il faut dire, que tout habillé il
était déjà un bel homme. Non pas simplement un joli garçon ou une glabre
sculpture vivante, mais un mâle, avec toutes ses hormones, pourvu de tous les
fantasmes que nous projetions sur lui.
Jacques nous demanda de nous disposer en arc de cercle autour de la petite estrade
destinée à accueillir le modèle. Le déménagement sembla durer une éternité,
dans un vacarme de tables que l'on pousse, de chaises que l'on traine, de
bavardages et de gloussements.
— c'est bon, Bertrand ? Si tu es prêt, tu peux nous
rejoindre.
ouvrant le paravent il apparut souriant de ses yeux et de
ses dents, naturellement nu, dans son corps d'amant, dans son corps de mari qui
n'est pas le notre.
— C'est vrai qu'il fait pas chaud ici — dit Bertrand, —
Jacques, tu peux allumer le radiateur. Ou dans deux heures j'aurais pris froid.
Il évoluait parfaitement à l'aise, sans exhibitionnisme, mais avec
l'assurance de celui qui se moque du regard que l'on pose sur lui. Il savait qu'il
tenait la route, mais son aisance ne lui conférait pas la moindre arrogance,
juste la sensation d'être bien dans sa nudité.
Nous avions déjà eu quelques modèles masculins, recrutés
pour la plupart dans le cours de danse du mercredi. C’était généralement de
très jeunes hommes, à la musculature sèche et aux membres longs, sans un poil
sur le corps ou sur le visage. J'aimais les dessiner,
attentive à la lumière qu'ils accrochaient, recherchant les contrastes,
soucieuse de restituer la finesse du grain de leur peau, la douceur de leurs
lignes. Ces moments étaient d'intenses batailles avec mon regard. Il me fallait
lutter contre ce que mon esprit construisait, pour me contenter de ne rendre sur la feuille que le reflet de
l'image devant moi. L'émotion était toujours artistique, et je passais
finalement peu de temps à observer le modèle. quand je rentrais chez moi,
étalant mes croquis sur le sol, je me rendais compte, que sans le vouloir
vraiment, la plupart de mes esquisses n'étaient que de simples reproductions de
corps sans visage défini et sans sexe. Ils étaient esthétiquement parfaits, mais j'aurais été
incapable après un cours, d'en croiser un et de le reconnaitre. Tous mes
dessins d'académie masculine se ressemblaient. Ils se distingaient dans le temps par la maitrise accrue de mon
geste et de mon regard.
Pour Bertrand, je sentais que la séance serait différente
des précédentes et que je n'étais pas seule parmi toutes ces femmes à éprouver
cette sensation.
— Bien, mesdames, aujourd'hui nous allons travailler sur la
silhouette et les proportions. On évite de rechercher la ressemblance au niveau
du visage, l'important c'est de transcrire l'harmonie et l'aplomb de la
silhouette. Vous avez la chance d'avoir un vrai mâle comme modèle aujourd'hui,
alors ce que je veux voir dans vos œuvres, c'est la masculinité du monsieur.
Madeleine, une jeune retraitée, installée derrière mois, de
sa petite voix douce demanda :
— on est obligé de
tout dessiner à part les traits du visage ?
Andrée râlait pendant ce temps dans son coin et maugréait :
— J'aime pas les modèles hommes, avec leur machin qui
pendouille, c'est moche. Je préfère les femmes, au moins, quand elles serrent
les jambes on ne voit rien.
Jacques éclata de rire.
— Vous dessinez ce que vous voulez, ou ce que vous pouvez.
Chaque pose ne doit durer que dix minutes avec deux minutes entre chaque, sauf
si Bertrand est d'accord pour enchainer. Allez on démarre, vous verrez, dix
minutes c'est vraiment court. Si tu veux, Andrée, tu peux te retourner, je te
ferai signe pour les séances de dos. Allez, à toi Bertrand, tu veux que je
t'indique les poses ou tu préfères faire comme tu sens ?
— Ça ira, répondit le modèle.
Bertrand commença par un profil, une jambe à peine fléchie,
les épaules en arrière. C'était vraiment un bel homme, dans la quarantaine, un
peu plus peut-être. Parfaitement proportionné, son ventre était plat sans pour
autant être sculpté par la fréquentation de la salle de gym. Sa poitrine
puissante était recouverte d'une légère toison grisonnante. Ses cuisses à la
musculature dessinée donnaient à sa silhouette un aplomb solide. Planté sur le
sol, il me faisait penser à un arbre. Nous avions toutes remarqué la partie
centrale de son anatomie. Son sexe sombre et lourd reposait tranquillement
entre ses cuisses. On sentait une tonicité naturelle que traduisait la tenue de
son membre, qui était loin de pendouiller sans pour autant paraitre agressif ou
obscène. Je n'avais pas encore pris en main mon bout de fusain, je regardais
Bertrand, détaillant chacune de ses cicatrices, revenant sans cesse sur son
sexe que je trouvais merveilleusement proportionné. J'aurais voulu ne dessiner
que cette partie de son anatomie. Posé sur ses deux jambes, il donnait une
telle impression de solidité que je l'imaginais me porter contre son ventre
tendu. C'était la première fois que je me sentais éprouver un pur désir sensuel
face à un modèle. D'habitude, je suis plutôt analytique. Le corps humain est un
défi que je relève par la prise de cotes systématiques. Je trace des lignes,
des cubes, des ovales et me rapproche ainsi de mon sujet, le réduisant toujours
à un ensemble de formes qui doivent se conjuguer pour s'harmoniser. Là, je ne
pouvais pas. Mon regard était comme aimanté par ses jambes, ses fesses et son
sexe.
Jacques passait derrière nous et je n'avais pas vu le temps s'écouler.
Le délai de la première pose était presque achevé quand je sentis la présence
du professeursur ma nuque. Se penchant vers moi, il me glissa discrètement à
l'oreille : — « alors Alice, tu manques d'inspiration ? » Ma
feuille était encore blanche. Les mots presque chuchotés par Jacques me
ramenèrent brutalement à la réalité. Je me hâtais rougissante de griffonner
quelque chose, mais je n'étais pas suffisamment concentrée pour restituer autre
chose que de vagues gribouillis.
La séance se
poursuivit, Bertrand enchainant les poses académiques sans donner l'impression
de se fatiguer. Le cours était silencieux, presque religieux, seulement ponctué
des remarques de Jacques. Il ne revint pas vers moi les deux heures que dura le cours. J'avais
réussi à rassembler mon attention et m'abstraire des images érotiques qui se
formaient devant mes yeux à chaque nouvelle figure qu'exécutait Bertrand. Les
croquis que je détachais avec rapidité de mon carnet s’accumulaient à mes pieds.
Le désordre des feuilles me gênait, je m'interrompais un
instant pour faire un peu de rangement. La jeune femme installée à ma gauche
avait posé son crayon et observait ma production. Je savais qu'elle s'appelait Claire.
Jacques nous appelait toujours par nos prénoms, mais je n'avais jamais eu
l'occasion de lui adresser la parole. C'était une jolie blonde bien en chair
d'une quarantaine d'années. Elle s'était inscrite au cours de dessin en cours
d'année. Elle manquait de pratique et de rigueur, mais progressait rapidement.
J'avais eu l'occasion de voir quelques-unes de ces réalisations, qui étaient
toujours très personnelles et marquées par l'abstraction. La semaine dernière,
alors que nous devions interpréter une nature morte, une cafetière à côté d'une
citrouille, sur un drap blanc, elle avait magistralement restitué le sujet par
des aplats de couleurs très éloignées de la réalité. J'aimais bien ce qu'elle
faisait. Alors que je m'attachais à la ressemblance, elle semblait s'en ficher éperdument,
mais ce qu'elle faisait était toujours émouvant et plein de vitalité.
— vous avez fait beaucoup de croquis, me dit-elle.
— J'ai du mal à trouver la ligne.
— On dirait que le sujet vous a inspiré, ce que vous avez
fait est vraiment superbe.
— C'est trop gentil, vous êtes une flatteuse.
— Non, c'est sincère, j'aime bien. Ça donne une impression
de chaleur, un peu comme une caresse.
Je ne m'attendais pas à cette remarque. Ne sachant quoi
répondre, je classais mes croquis.
— Et vous me faites voir ce que vous avez fait ?
— Si vous voulez.
Elle me tendit son carnet que je feuilletais d'abord par
politesse, puis avec un réel intérêt.
— Vous aussi vous avez été inspirée. Vous en avez fait un
touareg naturiste.
— Je sais pas, ça m'est venu comme ça.
— Tu sais... on peut se tutoyer peut-être, ce sera plus
simple.
— Bien sur.
— Tu sais, quand je regarde tes croquis aquarellés, ça me
rappelle l'exposition de Titouan Lamazou sur les femmes. C'était au Trocadéro,
je crois.
— Oui, je m'en souviens, j'y ai été avec ma fille.... elle
avait fait un dessin qu'il lui a dédicacé... elle était heureuse comme tout,
elle a montré son dessin signé par Lamazou à tout le monde...
— Eh bien, je ne sais pas si ça t'a fait la même chose, mais
chaque dessin, le regard de chaque femme... et bien, je me suis dit, lui, il
aime vraiment les femmes.
— Tu m'étonnes.... je me suis fait la même remarque... j'ai
pas osé lui demander de me dédicacer son livre, il y avait trop de monde...
— Quand je regarde tes croquis, ça me fait un peu la même
impression... c'est une bonne idée, les applications de gouache mélangées à
l'aquarelle... ça donne de la matière...
Claire éclata de rire pour dissimuler sa gêne et reprit.
— euh, il est quand même pas mal, le mec. Pas forcément à
mon gout. Mais y a pas grand-chose à jeter. Si tu vois ce que je veux dire.
— Moi je dirai pas ça... pour une fois qu'on a pas un
minet... j'en ferai bien mon quatre heures... et puis mon diner aussi pourquoi
pas.
Nous riions comme deux gamines. Le cours était achevé,
Bertrand, le modèle était retourné se rhabiller derrière le paravent. Jacques
était en grande discussion avec Andrée, qui s'était contentée de travailler le
visage du modèle. Le cours se vidait peu à peu, les élèves s'éclipsaient par
groupes avec plus ou moins de discrétion.
Je regardais par la fenêtre, il faisait déjà sombre et une
pluie fine commençait à tomber.
— Pfff, on n'est même pas en octobre, et on se croirait déjà
en hiver.
— oui, répondit Claire, je crois bien qu'on est entrées dans
le tunnel... encore 7 mois avant de voir le soleil et de remettre une jupe.
— Il parait que demain on aura tout de même une belle
journée. Je me ferai bien la dernière terrasse de l'année, ça te dit ?
— Demain soir si tu veux, les enfants s'occupent de leur
père ce weekend et il passe demain à onze heures.
— Toi aussi tu fais partie du gang ?
Alice me regarda interrogative.
— Le gang quoi, la tribu des divorcées.
— Oui, c'est tout neuf. Ça fait juste depuis la fin des
vacances qu'on s'est mis d'accord sur les tours de garde et de visite. Demain, ce
sera la deuxième fois. Toi aussi, tu es divorcée, tu as des enfants ?
— Moi aussi, en quelque sorte.... mais non, je n'ai pas
d'enfants.
— Bon alors, demain on est libre... on va pouvoir faire les
folles et parler du modèle. Il est ou celui-là au juste.
— Je crois qu'il n'est plus la, je ne l'ai pas vu partir.
Discret le bonhomme.
— Tu crois qu'il est divorcé lui aussi.
— Je suis sur qu'il est marié, ou pire.... non, mais j'ai
fait mon deuil.
Nous échangeames nos numéros de téléphone, nous promettant
de nous appeler le lendemain en fin d'après-midi. Elle avait l'air sympathique cette claire, j'aurais du lui
parler plus tôt.
lundi 28 mai 2012
Paraître pour exister
Assis, à la terrasse de ce café, je me sens serein. Je goutte le calme et la tiédeur de cette matinée qui n’a pas encore
commencé. J'aime la Provence. Hier soir, je me suis couché tôt. Je ne fume plus, et j’ai réussi à
ne plus boire à l’ivresse, même légère. Au réveil, je me sentais propre au dedans,
plein d’une énergie que je ne me souviens pas avoir jamais eu. Aux premières lueurs de l'aube Je suis
allé à pieds vers le centre du village. Je
me sentais en paix, je n’avais plus peur de vieillir. Je ne pensais plus qu'au présent et aux possibles qui s'ouvraient à moi, comme quand j’étais l’adolescent au cheveux noirs et
bouclés, qui posait pour sa première carte d’étudiant, regardant confiant
l’avenir au travers de l’objectif, les yeux arrogants et posés comme un air de
défi. Ce matin, j’étais ce jeune homme vert,
à la peau douce, au visage sans mollesse.
Le ciel est clair, le
vent a chassé les nuages. La journée commence dans la douceur. Je regarde la
rue animée par les artisans qui rejoignent leur chantier. Je tourne la cuillère
dans ma tasse de café, ne sachant où la poser. Derrière son comptoir, le patron
du bistrot, est occupé de mille taches dont j’ignore le sens. Un vieux, au
visage chiffonné de trop de nicotine s'absorbe dans la lecture de la
rubrique hippique d’un journal qu’il a sorti de la poche intérieure de sa
veste. Le temps passe sans but avec lenteur et je n’ai pas encore porté la
tasse à mes lèvres. J’attends, et pourtant je sais que bientôt je me lèverai
pour reprendre le chemin de ma location. On se croirait en Afrique, ou quelque
part dans le sud de l’Espagne.
C’est à cet instant que je l’ai vue passer devant moi. Habillée
court, chaussée de talons hauts, elle m’apparaissait dans la minceur
triomphante de celles pour qui leur silhouette est le fruit de l’entreprise
d’une vie. Elle marchait en roulant ses fesses, le regard fixé vers la
boulangerie. Je me suis immédiatement senti attiré vers elle, ne pouvant
détacher mes yeux de ce cul hypnotique. Elle n’était plus là mais j’avais son
image encore devant les yeux. Qui donc était cette femme ? Il ne fallait vraiment
pas être devin pour sentir dans son
sillage la profondeur de ses blessures. J'étais amusé et attendri par cette
poupée de cinquante ans, qui pour être certaine d’accrocher le regard des
hommes avait du passer plus de deux heures à s’apprêter dans le silence de sa
salle de bain afin de se présenter dans les atours les plus caricaturaux de la
féminité, simplement pour aller chercher son pain.
Sa volonté de séduire à tous prix, la rendait émouvante. Je
l’imaginais fragile et inquiète, passant probablement le plus clair de son
temps à scruter les signes de l’âge qu’elle tentait d’endiguer
méthodiquement. Elle avait la chance d’avoir su garder la jeunesse de sa
silhouette, conservant un corps fin et musclé qu’elle devait mettre en valeur pour que l’on oublie de regarder son visage qui, malgré sa
science du maquillage ne pouvait plus faire impression. Dans l’excès de
l’obsession de son apparence, elle en faisait trop. Vêtue comme une chasseuse,
elle avançait d’une démarche étudiée, uniquement attentive aux regards qui se
posaient sur elle. Je l’ai sentie blessée, comme une femme qui a pris la
décision de se donner les moyens de refaire sa vie. Chez elle, la fêlure allait
au-delà de la simple campagne de séduction. On sentait que son corps était le
terrain d’un champ d’une bataille qui se livrait quotidiennement. Elle
refusait, elle niait, elle luttait. Elle savait qu’il ne lui restait que peu de
temps avant que les brèches qu’elle scrutait chaque jour ne soient trop visibles,
les fuites toujours plus nombreuses. Elle craignait ce jour, refusant d’y
penser, mais investissant dans sa lutte chaque instant de sa vie. Cet instant arriverait toujours trop tôt. Vaincue
par le temps, dans sa solitude désœuvrée elle n’aurait plus alors qu’à feuilleter
ses souvenirs au hasard des albums de photos, se remémorant le temps où elle
faisait encore se retourner les hommes. Le
temps où elle ne serait plus qu’une vieille au statut de beauté déchue durerait
trop longtemps et arriverait toujours trop tôt.
Quand elle revint devant nous, arpentant la rue dans l’autre sens, le vieux
leva la tête et l’observa sans discrétion, affichant un sourire gourmand. Ce
vieux crabe, qui ne devait pas être beaucoup plus vieux que cette guerrière la
considérait comme si elle lui devait quelque chose. Elle au moins se battait
contre le temps, tandis que lui, avait depuis longtemps abandonné tout espoir
de paraitre. Il avait parlé suffisamment fort et elle était assez proche pour avoir
entendu sa parole crue. Elle avançait toujours roulant des hanches, et dansant
sur ses escarpins, sans tourner la tête, fière d’être là dans la couleur de sa
séduction outrageuse. Elle savait qu’au moins un regard ne se détachait pas de
ses fesses. Elle se sentait inaccessible, excitée par le fait qu’elle
nourrirait les fantasmes de ce vieux bonhomme. Moi, je la suivais des yeux,
sous le regard complice de mon voisin. Dans la rue un volet s’ouvrait. Une vieille
dame, en peignoir arrosait ses géraniums.
J’aurais voulu la suivre, juste pour savoir et aussi
m’imprégner de son hallucinante démarche de danseuse. J’aurais voulu lui
parler, tenter d’attirer son attention. Mais je savais bien que ce genre de
femme ne se nourrit que de la jeunesse. Je payais mon café, et repartais, sous
le soleil déjà haut qui m’écrasait la nuque. Je me sentais vieux. Bien loin du
jeune homme aux cheveux bruns et bouclés qu’elle aurait tant désiré à présent,
qu’elle n’aurait pas remarqué dans sa jeunesse car bien trop vert pour elle.
jeudi 3 mai 2012
Tu veux jouer ?
Sourcils froncés, les yeux fixés sur la bouteille d’eau
pétillante elle m’annonça soudain :
-
Je suis mariée
-
Moi aussi – lui répondis-je en lui tendant mon
briquet allumé.
Fouillant son sac à main, elle en sortit une fine cigarette
qu’elle porta aussitôt à ses lèvres, se pencha légèrement et posant un instant
ses deux mains en coupe autour de la flamme, fit rougir le bout qui d’inerte
devint incandescent.
Silencieuse, elle reprit l’observation attentive de la
bouteille d’eau tandis que je posais mon briquet sur la table, soigneusement
aligné avec le bord.
-
Vous ne fumez pas ?
-
Non, j’ai arrêté.
-
Ça ne vous dérange pas ?
-
Ça a l’air de vous faire du bien.
-
Vous ne fumez pas et vous avez un briquet sur
vous ?
-
J’aime bien le geste de donner du feu … aux
femmes uniquement. Je vous ai regardé au moment où vous allumiez votre
cigarette, si concentrée, plus rien ne semblait compter, jusqu’au moment où est
apparue la fumée.
Elle reprit une bouffée qu’elle inhala longuement et rajusta
une mèche de cheveux imaginaire, la replaçant derrière son oreille.
-
Je ne sais vraiment pas ce qui m’a pris d’accepter
votre invitation… et vous me regardez la, sans presque rien dire… je me sens gênée…
je me demande vraiment ce que je fais la ?
-
Je vous ai juste proposé de partager un verre
avec moi… mais je ne pensais pas que vous accepteriez… juste je me suis dit, parce
que j’aimais votre silhouette que je me sentirais mieux en vous parlant qu’en
regrettant de ne pas avoir osé vous aborder, même si vous ne me répondiez pas.
-
Et maintenant ?
-
On boit un verre, vous fumez une cigarette, il
fait doux et moi je suis heureux de passer un moment en votre compagnie.
-
Vous ne me connaissez même pas.
-
Je sais que vous êtes mariée.
-
C’est moi qui viens de vous le dire et vous
aussi d’ailleurs. Elle le sait votre femme que vous offrez des verres à des
inconnues dans le parc du Luxembourg ?
-
Non, mais elle n’est pas là, et ce n’est pas moi
qui lui dirait que des inconnues acceptent les verres que je leur offre.
Je m’attendais à une réponse, mais elle se contenta de
hocher la tête tout en riant brièvement comme on souffle dans son nez.
Elle avait déjà repris une cigarette, la tenant de deux doigts
entre ses lèvres. De nouveau, je lui offrais la flamme de mon briquet. De nouveau,
elle faisait une coupe de ses mains, mais sans éviter cette fois, le contact
avec mes doigts.
Se reculant de la table, elle se cala au fond de sa chaise
et m’observa. Nous ne parlions plus depuis une vingtaine de secondes et sous
son regard silencieux qui me détaillait, je me sentais embarrassé.
Tendant la main, elle prit mon briquet et jouant avec, l’examina
avec minutie.
-
C’est un bel objet, il est lourd.
-
Je l’ai avec moi depuis toujours, enfin, depuis
longtemps.
-
Combien en avez-vous allumé avec ?
-
De quoi ?
-
Depuis que tu as arrêté de fumer.
-
Je ne sais pas, je ne tiens pas ce genre de
comptes.
Son regard me souriait, ironique, indépendant de ses lèvres
qui continuaient de fumer.
-
Je vais le prendre avec moi. Tu me donnes ton
numéro, celui de chez toi, le fixe et ton portable aussi. Je te le rendrai la
prochaine fois que nous nous verrons. Mais c’est moi qui rappellerai et sur le
numéro que je veux, quand je veux. Alors, tu veux jouer ?
Sortant de son sac un magnifique stylo mont blanc, elle nota
mes numéros au dos du ticket que le serveur nous avait apporté dans une
soucoupe en plastique vert avec nos consommations.
-
Je ne te laisse pas écrire, je ne voudrais pas
que tu prennes un otage.
Apres avoir rangé le bout de papier et le stylo, elle se
leva et alluma une autre cigarette avec mon briquet.
-
Bon, bien, à bientôt, peut être… me dit-elle en
m’adressant un sourire franc. Puis elle se retourna et s’éloigna.
Je restais assis quelques instants, la regardant partir.
Avant qu’elle ne disparaisse, par effet de contre-jour, je vis son corps se
découper nettement sous sa longue robe blanche.
Sortant mon paquet de cigarettes, je regardais autour de moi
cherchant du feu. Personne ne fumait.
mercredi 2 mai 2012
INSTANTANES
Premiers mots,
Ça, c'est dans le train qui nous conduisait à Marseille.
Nous ne nous connaissions pas encore. J’avais remarqué cette fille qui sur le
quai m’observait. C'est elle qui m'a adressé la parole en premier. Sa tête me
disait bien quelque chose, mais je ne la remettais pas. Je ne me souviens plus
des premiers mots que nous avons échangés.
Le train était bondé et nous n'avions pas trouvé de places où nous
assoir. Debout sur la plateforme, nous nous sommes racontés ; elle souriait
tout le temps, faisant comme si elle me trouvait passionnant ; moi, je
faisais la roue....Elle a voulu me montrer , un petit reflex argentique
autofocus, que son père lui avait offert pour son anniversaire et dont elle
était très fière, en le manipulant elle a photographié la porte des toilettes.
Le flash s'est déclenché automatiquement..... L'image est remarquablement
nette.
Quand à Vienne, le Wagon a commencé à se vider, nous nous
sommes installés, côte à côte....Elle me parlait, de sa vie, de ses parents, de
ses études....Nous fréquentions la même école. Elle entamait sa première année,
moi ma troisième. Je me souviens juste de ses yeux qui brillaient et des
reflets roux qui courraient sur le Rhône ce matin de décembre entre neige et
soleil.
* * *
Neige de février
Ça, c'est une drôle de photo toute floue. La neige tombait à
gros flocons. C’était la nuit. Nous avions fait l'amour pendant des heures,
probablement plusieurs fois de suite.
C'est elle qui m'a réveillé pour que je voie tomber la
neige. Je me souviens m'être dit que c'était un peu idiot... La neige à Lyon en
février, ça ne me semblait pas un spectacle inhabituel.
Toute nue, elle regardait la neige qui recouvrait le jardin
en contrebas en me disant c'est beau non ? Moi j'étais derrière son dos, et je
regardais ses petites fesses qui reflétaient la lumière jaune des lampadaires
de la rue. J'ai saisi l'appareil posé sur la table du salon. C’est à cet
instant qu'elle s'est retournée pour me sourire. Je n'ai pas interrompu mon
geste, et j'ai pris la neige à travers la fenêtre. Elle s'est mise à genoux
pour me prendre dans sa bouche. Pour elle, c’était une première fois. Elle
voulait me faire plaisir, mais s'y
prenait maladroitement. J’étais ému. Nous avons encore une fois fait
l'amour....
La photo est ratée et le labo ne nous l'a pas facturée, si l'on
regarde attentivement, encore faut-il le savoir, on distingue vaguement le
reflet de son dos..
* * *
Premières vacances à Biarritz
Celle-ci c'est mon frère qui l'a
prise. On est au début de l'été sur la promenade qui longe la plage de Biarritz.
Le ciel est bleu lumineux. Je me souviens de l'odeur des frites et de l'ambre
solaire qui évoquait le temps des vacances. Les couleurs de la photo sont chaudes
et saturées.
Le vent rabat ses cheveux vers
l'avant, couvrant une partie de son visage. Elle ne pose pas et rit de toutes
ses dents.
Nous nous étions baignés, l'eau
était encore un peu fraiche. Elle porte une jupe rouge légère qui lui arrive un
peu au-dessus des genoux. Prétextant que l'eau était très salée et qu'elle avait
oublié emporter de quoi se changer, elle était restée nue sous ses vêtements.
Elle est restée toute la journée dans la même tenue.
C’est la semaine ou elle a commencé à se lacher vraiment.
* * *
Le collier de perles
C'est l'hiver, toujours à Biarritz. Le regard buté et la
lèvre tremblante, elle ne veut pas me parler.
Mes parents nous ont
invités au restaurant. À la fin du repas, ma mère remarque qu'elle porte le
collier en perles que je lui ai offert deux mois plus tôt. C'est à cet instant
qu'elle découvre mon mensonge... le premier... en le lui offrant, je lui avais
fait croire que je l'avais acheté lors d'une vente aux enchères. Ma mère lui
apprend qu'il s'agit du collier de ma grand-mère. Ma mère parle toujours trop. J’aurais
voulu qu'elle se taise. J’aurais voulu être ailleurs. Le choc est d'autant plus
rude que le cadeau l’avait surprise.
Elle apprendra un an plus tard que ce n’était même pas de
vraies perl
* * *
Festival d'Avignon
Photo de groupe, quelques mois plus tard. Un stage de théâtre
à Avignon. Nous assistions à une ou deux représentations par jour et avions
droit à l'explication de texte détaillée de l'artiste. Nous ne nous
connaissions pas auparavant et ne sommes jamais revus depuis. Je ne parviens
pas à mettre un nom ou un prénom sur le moindre visage.
Le cliché a été pris à la terrasse d'un café proche du
palais des papes. Nous sommes côte à côte, sans tout à fait me tourner le dos,
elle ne semble pas me prêter attention. Elle a sympathisé avec un garçon qui
ressemble à un moniteur de ski ou de planche à voile. Il est grand, blond, les
yeux clairs, l'allure assurée des hommes que les femmes recherchent ; j'ai
l'air d'un môme à ses côtés.
Elle lui propose de venir nous voir à Lyon et insiste pour
qu'il note le numéro de téléphone. Je sais que si elle le revoit, ce ne sera
pas pour parler théâtre... Nous n'avons jamais évoqué cet épisode par la suite.
Je ne suis pas certain qu'elle aurait souhaité m'associer à la réalisation de son
fantasme.
* * *
Nouvel
An dans le Jura
Sur celle-ci, on la voit, en train de danser. Nous sommes
dans un gite dans le Jura et fêtons le Nouvel An avec un groupe d'étudiants que
nous connaissons depuis quelques semaines seulement et ne reverrons jamais.
La musique est forte... tout le monde a déjà beaucoup bu. La
pièce est enfumée, nous ne pouvons pas ouvrir les fenêtres, dehors il fait -20°
ou moins encore.
Je la savais opposée à toute consommation de stupéfiant,
mais ce soir-là, elle s'est servi une énorme part de space cake et peut être un
cachet d'ectazy également.
Elle est devenue très câline, m'a attiré dans un coin un peu
à l'écart, m'a pris la main, dégrafant elle-même un bouton de son jean pour
dégager sa taille et m'a demandé de la caresser jusqu'à l'orgasme. Elle me
regardait droit dans les yeux, tandis que ma main s'activait... je l'ai sentie
se détendre comme un ressort cassé. Elle venait de jouir. Après cela, elle est
partie danser, puis je l'ai perdue de vue pendant une heure ou deux jusqu'au
moment où elle est venue me chercher, pour que je lui fasse l'amour sous la
douche. Son sexe était humide au point que je me demande encore si je n'ai pas
confondu son excitation intime avec le sperme d'un autre.
Un mois plus tard, nous étions séparés. Il me semble que
c'est à cette occasion que nous avons fait l'amour pour la dernière fois.
* * *
Nuit
de féria à Nîmes
Là, c'est moi de nuit, le crâne rasé, l'œil sombre, marchant
dans les rues de Nîmes en pleine feria. Je suis militaire, à l'époque on disait
bidasse.
Nous sommes séparés depuis plusieurs mois. Nous n'avons plus
que quelques rares contacts téléphoniques.
Je sais qu'elle vit à présent dans cette ville.
J'ai l'air préoccupé et sérieux..., je me souviens que
j'étais en fait à la fois triste que notre histoire soit terminée et inquiet de
la rencontrer accompagnée d'un autre, qui serait forcément plus grand et plus
beau que moi.
Mon ami, qui m'a invité se moque de moi.... La rue est en fête.
Tout le monde rit et danse autour de nous, tandis que nous marchons en parlant
du sens de la vie.
* * *
En
revenant de Nîmes, un matin.....
Dans cette photo, prise d'un radar routier, à l'entrée de Nîmes,
on me voit seul au volant de ma voiture. Je suis pressé d'arriver à
destination.
Elle m'avait invité à venir lui rendre visite dans son deux
pièces à Nîmes, pour diner.
Je n'étais plus militaire et nous ne nous étions pas revus
depuis une année.
Elle m’attendait chez elle. Je suis venu les mains dans les
poches, sans une bouteille ni même un bouquet de fleurs. Elle semblait heureuse
de me revoir, me gratifiant de son sourire magnifique.
Tous deux assis à même le tapis de son salon, je l'écoutais me
parler de son travail, de sa vie, de sa mère. Le téléphone a sonné. Elle a
décroché, j'ai compris qu'elle parlait à son nouvel amoureux. Adossée à un mur,
ses talons posés à plat, elle lissait sa jupe et la rajustait en me regardant
sans cesser de parler. Elle a légèrement entrouvert ses genoux d'un geste
faussement involontaire, me dévoilant un court instant une tache blanche entre
ses cuisses.
Après qu'elle ait raccroché sur un mot tendre chargé de
promesses érotiques, nous avons repris notre discussion. Il faisait chaud ce soir-là,
mais la température était supportable. Elle s'est levée d'un geste nerveux, me
déclarant que son string la grattait et lui rentrait dans les fesses, l'a
retiré rapidement en me tournant le dos. Sagement installée sur son canapé en
toile, elle est nue sous sa jupe. J'aurais
dû l'embrasser, me jeter sur elle, la prendre, sans même la déshabiller, ramper
sous elle pour la dévorer. Mais ce soir, je suis resté assis sur son tapis
carré... j'ai continué à parler et à boire ; à parler encore et à boire
aussi.
Nous avons dormi ensemble. Je n'étais de toute façon pas en
état de reprendre la route. Allongée, dos contre mon ventre dans son lit, elle
était nue. J'étais saoul et m'en voulais de ne pas avoir su réfréner ma pulsion
alcoolique. Comprenant qu'il ne pouvait désormais plus y avoir que de la
tendresse entre nous, elle s’est saisi de ma main droite afin de couvrir son sein gauche
et s'est rapidement endormie.
* * *
Photo sur le net
Je ne l'ai plus jamais croisée. Récemment, en tapant son nom
sur un moteur de recherche, j'ai vu son visage apparaitre sur une photo qui
semblait avoir été scannée à partir d'une pièce d'identité.
Près de trente ans plus tard, elle n’a pas changé. Elle est toujours
aussi souriante et ne fait pas son âge.
En revoyant cette image, me revenaient en mémoire les deux
années que nous avions passées ensemble. Elle était toujours célibataire et
vivait encore dans le sud. Je me suis demandé ce qu'il serait passé si je ne
lui avais pas menti à propos du collier de perles. Peut-être aurions-nous
prolongé notre histoire. Nous aurions certainement eu des enfants et la
séparation n'en aurait été que plus douloureuse. Nous n'étions pas destinés à
rester ensemble toute notre vie.
J'ai quelques remords, mais aucun regret. Je conserve un
souvenir attendri de ma première histoire d’amour.
* * *
Elle n'a pas tout oublié
Ma mère est passée à la maison hier soir. Après quinze ans
de célibat, elle a enfin décidé de refaire sa vie dans une autre ville avec son
nouveau compagnon. C’est fou ce que l'on peut jeter quand on déménage. Je lui
avais dit que je ne voulais pas qu'elle se débarrasse de quoi que ce soit qui m'appartient
sans me le dire. Elle a tenu parole et m'a rapporté hier, une malle pleine de vêtements
d'enfants et une surprise. La surprise c'est cette boite en carton qui déborde
de vieux souvenirs que je suis en train d'effeuiller, seule, sur la table de
mon salon.
Au fond de la boite, une enveloppe rose. Dans l'enveloppe,
quelques photos de moi, encore adolescente. Mes sœurs et moi fêtant mes dix-huit
ans, mon chat, mes premiers et derniers essais de photographie artistique. Puis
retournée, parmi d'autres ; je suis sûr qu'elle a ouvert l'enveloppe, un
cliché, ou je m’adonne au plaisir naturiste au bord d'une rivière par une claire
journée d'été. Je suis debout, bien sûr toute nue, et la photo a été prise de
surplomb. Mon corps est un peu déformé par la perspective plongeante. Je suis
bronzée des pieds à la tête, sans la moindre marque de maillot de bain. J'avais
encore mes petits seins, qui me complexaient tant, que je me suis fait refaire
pour mes trente ans.
J'avais oublié l'existence de cette image, mais je me
souviens de cette journée. Je ferme les yeux et elle revit en moi.
Nous avions décidé de nous baigner dans le Gardon. Ma sœur
avait voulu nous accompagner avec son petit ami iranien. Lui nous conduisait,
dans sa 504 décapotable rouge.
Il faisait très chaud, et nous voulions nous baigner. Il ne
supportait pas la promiscuité et refusait toutes les plages que nous lui
proposions, nous avons roulé, puis marché longtemps pour trouver un endroit qui
ne soit pas envahi de familles.
Il était beau ce jour-là, très brun, ses cheveux bouclés
flottaient au vent. Ses lunettes de soleil lui donnaient un air absent. J'avais
envie de le toucher, de gouter sa peau que je devinais salée. Lui, conduisait,
sans dire un mot le regard fixé sur la route.
C'est moi qui après notre baignade ai pris l'initiative de
me débarrasser de mon slip de bain, pour bronzer toute nue. Il ne s'est pas
fait prier longtemps et s'est lui aussi complètement dévêtu. Ma sœur était dans
l'eau en compagnie de son invité. Visiblement gênés, ils n'osaient plus nous
rejoindre.
Allongée sur le ventre, je somnolais, goutant l'odeur des
pins, la douceur du soleil et le chant des cigales. Je me sentais bien dans mon
corps, j'ai senti sa main huilée d'abord se poser sur mon épaule puis investir le
reste de mon corps. J'avais envie qu'il continue sa caresse, qu'il l'a précise
et de ses doigts me fasse jouir maintenant.
Je me suis levée et d'un geste de la tête l'ai invitée à me
suivre. Sous un arbre, je me suis assise face à lui, tournant le dos à la rivière.
Écartant légèrement les genoux, je n'ai pas eu besoin de dire pour qu'il
comprenne ce que je désirais. Je voulais me sentir fouillée, caressée,
excitée... Je n'ai jamais retrouvé un homme qui sache aussi bien me faire jouir
de ces doigts. Il m'a caressée, longuement, lentement, avec la précision et la douceur d'une femme. Je le regardais
dans les yeux et sentait son trouble alors que le plaisir rapidement montait de
mon ventre d'abord par vagues, puis comme un flot continu. C'est à ce moment
que sans cesser sa caresse, il s’est penché vers moi, me soufflant une parole obscène
et souriante. J'ai senti mon sexe inondé de plaisir. Un petit cri m’a échappé...
Je ne l'ai pas touché. Il n'a pas insisté. Il n'a jamais compris que
j'attendais qu'il prenne sans attendre mon autorisation
C'est avec lui que je me suis affranchie du regard de ma mère. Un soir, j'ai eu l'impression que
je faisais l'amour avec mon frère. Je n'ai plus supporté de voir son visage face
à moi. Je me suis retournée, et m'imaginant avec un autre je me suis faite
jouir sans attention pour son plaisir. Je savais que notre histoire était
finie. Je n'avais plus envie de lui. Il
me fallait d'autres corps, d'autres odeurs, ressentir les émotions du début.
Nous nous sommes
quittés sans qu'il insiste pour me retenir. Il avait l’air triste des amants
révoqués. Je ne l'admirais plus.
Nous nous sommes revus peu après notre séparation. Je
voulais qu'il me prenne, qu'il me maltraite et me baise.... mais, il n'a rien
compris et a passé toute la soirée à boire et à parler.
Je ne sais plus où il vit. Il a dû vieillir . Peut-être ses cheveux ont-ils blanchi. Peut-être a-t-il pris du ventre ou perdu l’éclat de son
regard. Je voudrais ne jamais le recroiser. Et puis quoi lui dire ?
jeudi 26 avril 2012
Le défi du prince
C'était encore l'époque des trains de nuit et des
compartiments fermés à huit places assises. C’était aussi l'époque des
permissions de fin de semaine, des wagons peuplés de militaires bruyants,
bouillonnants de sève, de jeunesse et de rires.
À cette époque j'effectuais mon service militaire quelque
part dans le sud de la France. Le printemps venait tout juste de commencer.
C'est le moment de l'année que je préfère. Le soleil est encore doucement
caressant, et les odeurs de la Provence sont si enivrantes après chaque averse
qu'elles me font l'effet d'une amoureuse inconnue au réveil. C'est le
moment où les femmes redeviennent jolies, où les tissus de leurs jupes se font
plus légers tandis que les talons s'allongent et que les visages se couvrent
d'un hale que je trouve sensuel. J'adore ce moment de l'année, où moi aussi je
me réveille de l'hiver.
Le train roulait depuis près d'une heure en direction de
Marseille, le soleil n'était pas encore très haut.
Seul, dans mon compartiment, plongé dans les réflexions
porno-philosophiques du prince hospodar héréditaire Mony Vibescu,le rejeton caché d'apollinaire,
je goutais le plaisir d'une première cigarette. Le train s'était arrêté pour
une courte pause dans une des innombrables gares qui jalonnent la ligne du bord
de mer. Les voyageurs cherchaient leur place. Discrètement, elle est entrée et
s'est assise face à moi près de la fenêtre.
Le train du prince arrivait tout
juste en gare à Paris. Je posais mon livre, la couverture en évidence et allumais une
seconde cigarette. La jeune femme ne put s'empêcher d'y jeter un rapide coup d'œil puis détournant son regard s'absorba dans la contemplation muette du défilement monotone des champs de
vignes. Elle ne me laissait voir que son profil, et le temps de quelques bouffées de
tabac je l'observais avec une indiscrète arrogance .
Elle paraissait âgée d’une trentaine d'années, presque dix ans
de plus que moi à ce moment. Elle semblait faite d'une quantité de contrastes
qui la rendaient à la fois distante et attirante à mes yeux.
Les traits de son visage osseux avaient la dureté de ceux
d'une de mes anciennes professeur de latin le jour de la rentrée, mais la
douceur de son regard me la rendait si
désirable, alors qu’elle était loin d'être simplement jolie.
Son corps mince était presque maigre. Elle portait une jupe
faite d'un tissu clair et léger qui lui
couvrait sagement la moitié des genoux. Ses jambes fines et nerveuses
s'allongeaient de la cambrure qu'imprimaient une paire d'escarpins rouges
à talons.
Sous son chemisier blanc, lâchement boutonné, je devinais
une poitrine menue, que j’imaginais libre de tout sous vêtement.
Cette femme dégageait à la fois une
expression d'austérité et de sensualité réservée qui, à cet instant, la rendait
très attirante à mes yeux.
Je la détaillais ainsi depuis près d'une minute, sans me
rendre compte de la grossièreté de mon insistance. Elle tourna vers moi son
visage et posant de nouveau son regard vers la couverture de mon livre me
dit :
— Vous vous sentiriez prêt à relever le défi du
prince ?
Je ne m'attendais pas à une
approche aussi directe de sa part.
— Euh... vingt fois de suite ....
Je ne sais pas .....
Elle me fixait avec un joli sourire
ironique.
— Vous savez, si finalement, le
prince meurt de ne pas avoir su tenir sa promesse... c'est avant tout par
idiotie de sa part et non par faiblesse ..... Bien sûr qu'aucun homme ne peut
le faire vingt fois de suite.
Cette femme que je ne connaissais
pas, et qui m'attirait terriblement m'entretenait des performances sexuelles
d'un personnage littéraire. Je me sentais pris à défaut comme un petit garçon
que l'on a surpris au mauvais moment.
— C'est un procédé littéraire.
— Ah bon, et lequel ? Moi, je vous dis qu'il est mort
de ne pas avoir été assez malin... La testostérone ne conforte pas
l’intelligence.
— Je ne vois pas le rapport.
— Vous aussi vous devriez réfléchir un peu.
— Je n'ai encore rien parié.
— Vingt fois de suite, il s'était
engagé à prouver sa passion à la même femme.
En disant cela, elle se tourna à
nouveau vers le paysage.
— Vous allez jusqu'où ?
— Marmande...
— Moi je descends à Agen.
Elle avait posé un de ses pieds sur la corniche de sorte
qu'une jambe se trouvait à présent légèrement surélevée par rapport à l'autre
qui reposait à plat sur la banquette. Cette posture, involontaire en
apparence avait remonté un peu sa jupe,
dévoilant l'intérieur d'une de ses cuisses.
— Il y a tant de manières .... Tant de manières
Répéta-t-elle, sans me regarder ? Elle me tendit la main à ce moment, je
l'attrapais pour tenter un baiser. Mais ce n'était pas cela qu'elle désirait.
Elle saisit mon poignet, m'attirant vers elle pour poser ma main contre sa
cuisse doucement dévoilée.
— Il y a tant de manières
différentes..... Mais si vous ne retirez pas votre main, je considèrerai que
vous aurez accepté le pari du prince. Il ne vous reste que six heures pour
l'accomplir.... au mieux, si nous restons seuls dans ce compartiment.
Elle se leva et tira les rideaux,
nous isolant des regards du couloir.
Trente ans ont passé aujourd'hui. À chaque début de
printemps, je me demande quelle forme prendra pour moi le châtiment des onze
mille verges....
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